Basée à Frick (AG), la société Bio Inspecta AG est chargée de la certification de plus de 5000 exploitations bio à travers la Suisse. Marlise Peter et Stéphanie Bienzobas de GBNews ont souhaité en savoir plus sur ce domaine en plein essor. Olivier Béday a accepté de répondre à leurs questions et d’illustrer ses propos par un contrôle annuel chez Jacques Delafontaine, exploitant dans le canton de Vaud.
Olivier Béday gère sa propre exploitation de vaches laitières. Depuis quatre ans, il est aussi contrôleur chez Bio Inspecta, qui fait en sorte de « trouver des contrôleurs eux-mêmes exploitants bio, ce qui est mon cas depuis 2003».
Il contrôle environ 70 exploitations par année. Parallèlement à ces contacts avec d’autres agriculteurs qu’il affectionne, il doit suivre trois à quatre jours de formation continue chaque année, dispensée par la société : «Nous sommes toujours en évolution par rapport à la loi du marché. Le règlement doit s’adapter aussi par rapport à l’offre et la demande ».
Trois labels bio
L’agriculture biologique compte trois types de labels : le bio fédéral, avec un premier niveau d’exigences ; le Bourgeon, beaucoup plus strict et le plus répandu des trois ; et finalement Demeter, certification de produits issus de l’agriculture biodynamique. Olivier contrôle dans le canton de Vaud pour ces trois labels ce qu’il connaît de mieux : le bétail. Pour d’autres, ce sera la vigne, les arbres fruitiers ou la transformation fermière (vente directe à la ferme, étiquetage, magasin, flux de marchandises).
Dans 95% des cas, les règlements sont correctement respectés par les producteurs ; dans 5% des cas, certaines lacunes sont relevées. L’inspection a lieu une fois par année, mais des contrôles à l’improviste peuvent survenir, pour vérifier l’application des recommandations. Olivier remplit un dossier qui sera transmis à un certificateur pour une seconde évaluation. Finalement, les certifications sont remises directement au paysan par Bio Inspecta. Si une amende ou une sanction est décidée, le paysan peut recourir à la Commission de labellisation.
« J’ai toujours été convaincu du bio. »
Pour Olivier, on est bio « dans la tête, dans le cœur et dans les tripes ». Voilà plus de huit ans qu’il est passé au bio et rien ne le ferait revenir aux méthodes conventionnelles. « Lorsqu’un quota de production est atteint, les surplus de denrées comme le blé sont déclassés, c’est-à-dire sous-évalués monétairement. A quoi bon surproduire en usant de pesticides ? Pousser au rendement ne vaut plus la peine, puisque le prix payé à la fin ne suffit pas à compenser le coût des engrais et des pesticides. » En production biologique, le coût de la main d’œuvre compense celui des pesticides et des engrais ; grosso modo, un producteur bio et un conventionnel auront le même revenu au final.
Pour produire bio, « il faut accepter d’avoir plus de travail manuel », remarque Olivier. Il faut désherber à la main, trier le grain. C’est un surplus de travail dans la durée, tout au long de l’année. Olivier a accepté d’être tributaire de Dame Nature. «La philosophie amène à la religion. Personnellement je suis croyant. J’ai confiance en la Nature et j’ai du respect pour elle ; je m’en remets à quelque chose de supérieur à l’homme. »
L’alimentation est une histoire de bon sens
Toujours en parlant de valeurs, il pose une question pertinente : que décide-t-on de privilégier dans le ménage privé familial ? « J’estime que la nourriture est importante ; on mange trois fois par jour. Et pourtant, on se prive d’une bonne alimentation pour pouvoir s’offrir d’autres choses futiles. C’est une question de choix, mais il ne faut pas dire alors que les produits bio sont trop chers. »
En tant que consommateur, Olivier a toujours été sensible à ces questions et un convaincu du bio. Toutefois, il opte pour la proximité si un produit biologique est trop éloigné pour son acquisition. Il est de ce fait indigné par les produits bio vendus dans les grands supermarchés suisses : « Si vous regardez la liste des ingrédients, ils contiennent presque toujours du sucre de canne et non de betterave, alors qu’on en produit ici. C’est un non-sens. Mais ça leur coûte moins cher…» Il dénonce aussi l’utilisation de l’huile de palme, présente dans presque tous les produits transformés et dont la culture est un véritable fléau pour la santé et l’écologie.
« 40 francs de plus par animal labellisé »…
Après quelques égarements dans les chemins tortueux bordés de bois, Olivier arrive finalement sur un domaine escarpé dans la région de Puidoux, où Jacques Delafontaine, exploitant depuis trente-huit ans, le reçoit dans son élevage de bovins pour la première fois. Déconcerté par le danger que représentent les produits chimiques conventionnels, Jacques n’en a plus jamais employé depuis trente ans : « Deux fois de suite, en achetant des produits interdits l’année suivante, je me suis juré que je n’achèterais plus de produit chimique pour mettre sur mon terrain. » Son bétail est maintenant labellisé bio, ceci depuis 1991. Un intermédiaire des supermarchés suisses lui offrait 40 francs de plus par animal labellisé, différence qui réglait avec peine les cotisations et contrôles nécessaires. Scandalisé par le prix que doit payer le consommateur en magasin, il fournit aujourd’hui un autre client.
Le contrôle que conduit Olivier commence par une série de questions sur la provenance, la quantité et la forme d’alimentation donnée aux animaux. Le ton est détendu et jovial, les termes simples et efficaces. Une visite des parcelles débute sous une pluie battante ; Olivier privilégie les jours de mauvais temps pour ses contrôles afin de ne pas trop gêner l’éleveur dans ses tâches.
Les vaches nourricières et leurs veaux paissent à l’abri de l’écurie. L’odeur moelleuse du fourrage se mêle à celle du fumier. L’éleveur inventorie ses bêtes avec fierté et affection. Le matériel, les installations et la fosse sont examinés avec attention, des points d’éclaircissement traités. Jacques Delafontaine explique ses tâches quotidiennes, sa façon de procéder dans les moindres détails, au rythme des saisons. Il produit du biogaz à partir de la matière organique du bétail et cultive sous serre quelques fruits et légumes ; son domaine est à l’image du label Demeter, il se suffit à lui-même. Cependant, il a d’autres emplois pour arrondir les fins de mois et offrir des études dans une école réputée à ses enfants.
Olivier et Jacques retirent leurs bottes crottées et s’introduisent dans une demeure pleine de charme ; Mme Delafontaine prépare des confitures avec ses deux petites-filles dont le rire et les dessins embellissent les lieux. Les deux hommes s’attablent et un amas de documents vient rapidement recouvrir la nappe fleurie. Les données de l’année précédente vont être passées en revue et analysées. Olivier en profite pour faire le point sur les nouveautés : « Les produits à base d’algues marines – bon, vous n’en utilisez pas, mais que vous sachiez – c’est fini. Ils doivent être terminés avant 2012, parce que le bio ne veut pas encourager l’appauvrissement des fonds marins » .
Olivier poursuit en énumérant tous les points examinés et complète consciencieusement les formulaires. Il a en mains tous les plans de la situation du domaine ; en été il explore toutes les parcelles sur le terrain pour observer l’état des prairies. La consommation du bétail est calculée, la composition du fourrage analysée en pourcentages ainsi que le nombre de bovins par ares. La race et l’âge des animaux sont référencés, leur comportement ainsi que leur vente éventuelle. Rien n’est laissé au hasard. Des tableaux à remplir – « ah non, celui-ci c’est pour les poules ! Voilà pour les bovins. Et pour les vaches nourrices, c’est encore un autre… ».
Le contrôleur doit également relever et dénoncer toute infraction aux services du contrôle des eaux et vétérinaire. Quelques tampons et signatures, puis les copies des documents sont remises à l’exploitant. Une heure à remplir des formulaires exigeants, dignes d’une déclaration fiscale ! Les deux hommes déplorent le temps passé dans la « paperasse », car le bétail n’attend pas, tout en réalisant l’importance de ces tâches administratives. « J’ai acheté un ordinateur à cause de mes vaches ! » s’exclame Jacques sur un ton satirique mais amusé.
Il est 16 heures ; Olivier quitte la famille Delafontaine et reprend la route pour le troisième contrôle de la journée. Nous sommes le 16 décembre, il aura encore quinze contrôles à réaliser d’ici Noël.
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