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Le 18 août, à l’occasion de la 4e édition de son festival, l’Orchestre de la Suisse Romande investira la pelouse de Genève-Plage pour une soirée cinéma dédiée à Vertigo d’Alfred Hitchcock.
Alfred Hitchcock (1899-1980) est reconnu pour son style cinématographique particulier, qui combine des éléments de suspense, de tension et d'intrigue psychologique. Sa capacité à capter l'attention du public sur le plan émotionnel et à le tenir en haleine tout au long de ses films est remarquable. L'attention méticuleuse d'Hitchcock pour les détails, ses techniques de narration intelligentes et son travail de caméra innovant l'ont distingué comme l'un des plus grands réalisateurs de tous les temps.
Sorti en 1958, Vertigo (Sueurs froides) est un thriller psychologique qui se caractérise par ses innovations techniques, sa narration captivante, le développement de ses personnages et sa présentation visuelle époustouflante. Malgré un succès mitigé à sa sortie, il est aujourd’hui considéré comme l'une des œuvres les plus abouties d'Hitchcock et comme un des meilleurs films de l’histoire du cinéma.
Vertigo aborde les thèmes de l'amour, du désir et de la frontière ténue entre la réalité et l'illusion à travers l'histoire de John « Scottie » Ferguson (James Stewart), un détective souffrant de vertige qui se retrouve dans un labyrinthe de mystère et d'obsession lorsqu'il est engagé pour suivre une femme du nom de Madeleine Elster (Kim Novak).
Le film explore les complexités psychologiques des personnages et utilise la narration visuelle pour transmettre leur tourment intérieur. La direction experte d'Alfred Hitchcock et l’excellente performance des acteurs confèrent au film une intense profondeur émotionnelle. L’emploi de la caméra subjective, ainsi que la partition musicale envoûtante du légendaire Bernard Herrmann, accentuent la sensation de vertige et d’acrophobie du personnage.
L'une des marques distinctives des films d'Hitchcock sont ses caméos, c'est-à-dire ses brèves apparitions dans ses propres productions. Ces caméos sont des éléments amusants à repérer pour le public et ajoutent une touche personnelle à ses films. Dans Vertigo, environ 10 minutes après le début du film, on peut apercevoir Hitchcock de dos, vêtu d'un costume gris, passant devant un bâtiment.
Pendant quatre décennies, Bernard Herrmann a révolutionné la musique de film en imposant son propre vocabulaire harmonique et rythmique. Au lieu de mélodies luxuriantes, il a composé de courtes figures originales, voire expérimentales, répétées de manière obsessionnelle et s'accordant à merveille avec le style des images à l’écran.
Après avoir écrit des partitions pour les émissions radiophoniques d'Orson Welles, dont la fameuse adaptation de The War of the Worlds (La guerre des mondes) de 1938, Bernard Herrmann poursuit sa collaboration avec le cinéaste sur ses deux premiers films, Citizen Kane (1941) et The Magnificent Ambersons (1942).
Il collabore avec William Dieterle sur The Devil and Daniel Webster (1941), pour lequel il remporte l’Oscar, et sur Portrait of Jennie (1949), qui lui fournit l’occasion d’explorer les sonorités du thérémine. Il contribue également à la bande sonore de The Ghost and Mrs. Muir (1947) de Joseph L. Mankiewicz et à celle de The Day the Earth Stood Still (1951) de Robert Wise, qui lui permet d’aborder une expérimentation sonore plus poussée avec deux thérémines, des pianos et une section de cuivres.
Herrmann compose ensuite la musique d'une série de films fantastiques et de science-fiction. Parmi ceux-ci, Journey to the Center of the Earth (1959) et les films du maître de l’animation stop-motion Ray Harryhausen : The 7th Voyage of Sinbad (1958), The 3 Worlds of Gulliver (1960), Mysterious Island (1961) et Jason and the Argonauts (1963).
Il écrit une de ses plus belles compositions pour Fahrenheit 451 (1966) de François Truffaut, pour qui il compose également la musique de La mariée était en noir (1968). Au début des années 70, la génération du « Nouvel Hollywood » s’intéresse au travail du compositeur. Brian De Palma lui demande d’écrire la musique de Sisters (1973) et d’Obsession (1976). Il signe sa dernière partition, singulière et inspirée, pour Taxi Driver de Martin Scorsese (1976). Il décède le soir du dernier jour d’enregistrement.
Le nom de Bernard Herrmann est étroitement associé à celui d’Alfred Hitchcock, pour lequel il a écrit neuf partitions et produit certaines de ses œuvres les plus mémorables. La relation entre le réalisateur et le compositeur était unique et productive, Hitchcock laissant à Herrmann une grande liberté créative pour développer les paysages sonores de ses films.
Avant Vertigo, les deux hommes avaient collaboré sur The Trouble With Harry (1955), The Wrong Man (1956) et The Man Who Knew too Much (1956). Par la suite, ils allaient travailler ensemble sur les classiques North By Northwest (1959), Psycho (1960) et Marnie (1963). Herrmann met brusquement fin à son partenariat avec Hitchcock lorsque ce dernier, sur les conseils des studios Universal qui voulaient une musique plus influencée par le jazz et la pop, rejette sa partition pour Torn Curtain (1966).
Si les trois premières partitions d'Herrmann pour Hitchcock sont loin d'être les plus significatives de sa carrière, en revanche Vertigo marque définitivement le début de la collaboration entre le compositeur et le cinéaste. Hitchcock, ayant enfin pris la mesure de la charge émotionnelle qu’Herrmann pouvait injecter à ses films, laisse à ce dernier une large marge pour exprimer sa créativité.
L’intrigue de Vertigo enflamme l'imagination d'Herrmann et donne libre cours à son lyrisme car elle correspond pleinement à sa sensibilité romantique. La musique du film témoigne de son talent de compositeur et de sa capacité à améliorer la narration grâce à la musique.
Herrmann a toujours dirigé personnellement ses propres œuvres mais en raison d'une grève de musiciens aux États-Unis, la musique de Vertigo a été enregistrée en Angleterre et en Autriche par l’orchestre Sinfonia of London, sous la direction de Muir Mathieson. Herrmann, qui considérait cette composition comme l'une de ses meilleures, a profondément regretté de ne pas pouvoir la diriger.
À la fois chef-d’œuvre cinématographique et musical, le film tisse une atmosphère suffocante qui résulte autant de l'éclairage et des filtres utilisés par Hitchcock que de la partition d’Herrmann. Les images sont exacerbées par la musique et la musique par les images.
Herrmann emploie une série de techniques innovantes pour accentuer la tension et appesantir l'atmosphère de Vertigo. L’orchestration luxuriante, mêlant cordes, bois et cuivres, crée un son riche et immersif, soutenu par l’incorporation du thérémine dont l’effet d'étrangeté et d’inquiétude s’ajuste parfaitement à la narration.
Dès le début du film, la musique tourne en même temps que les spirales hypnotiques de Saul Bass superposées aux yeux de Kim Novak : des cercles de tierces majeures et mineures sans fin, entrecoupées de dissonances frémissantes. Epousant la narration, la musique donne littéralement le vertige : elle tourne en spirale et ne trouve jamais une résolution acceptable, jamais l’apaisement d’une fin.
Le thème principal de la partition, obsédant, onirique et mystérieux, capture l'essence même du drame psychologique. Tout au long du film, le compositeur joue habilement avec ce thème et ses variations. Il les aligne, les superpose, les réadapte et les entremêle avec une furie émotionnelle intense qui renforce l'impact des scènes décisives et entraîne le public au plus profond de la psyché des personnages.
Le motif sinistre de deux notes qui imite les cornes de brume du Golden Gate Bridge de San Francisco établit un lien direct avec le film, dans lequel on peut entendre distinctement les cornes sonner à Fort Point, théâtre d’un incident décisif impliquant le personnage de Kim Novak.
Sur la scène emblématique de la Mission San Juan Bautista, la partition d'Herrmann atteint son apogée, renforçant les thèmes de l'obsession et des troubles émotionnels.
La musique de Vertigo enrichit considérablement les images qu'elle accompagne, mais même sans celle-ci la partition conserve toute sa force. Elle a trouvé une vie en dehors du film, pouvant être entendue en tant que telle, si ce n'est comme un récit cohérent, du moins comme une succession de fragments envoûtants.
Le travail de Bernard Herrmann sur Vertigo a profondément influencé les compositeurs de films pendant des décennies. L’utilisation novatrice de la musique comme outil psychologique a ouvert la voie à l'intégration de celle-ci en tant qu’élément narratif. De nombreux compositeurs contemporains citent la partition de Vertigo comme source d'inspiration.
Acclamée par la critique lors de la sortie du film, la musique d'Herrmann n'a pas été nommée aux Oscars. Néanmoins, elle reste l'une des musiques de film les plus célèbres de l'histoire du cinéma.
Lectures complémentaires :
Hermeto Pascoal: Ella Fitzgerald Stage, July 5th
Hermeto Pascoal : Scène Ella Fitzgerald, le 5 juillet
Plácido Domingo au Victoria Hall : 13 juin
Photo credit : Emmanuel Doffou