Au mois d’octobre, PEPs, une petite entreprise fondée à Genève par Marie Aumeunier, a organisé un atelier destiné aux malentendants. En tant que directrice et formatrice, Marie Aumeunier donne des formations à des candidats au retour à l’emploi. Parmi ces séances et ateliers de formations, elle dirige un séminaire particulier destiné aux adultes malentendants.
A quoi cela sert-il de passer du temps dans un atelier comme celui de PEPs ? Pour les malentendants, il s’agit de se rendre compte qu’ils ne sont pas isolés face à leur problème. Être en groupe avec d’autres personnes qui sont confrontées aux mêmes défis leur permet de se sentir moins seuls. En plus, cela leur permet de travailler et de parler avec des personnes sensibilisées à leur handicap et qui prennent le temps de les comprendre.
Devenir malentendant : un bouleversement
Une audition réduite peut être présente depuis la naissance ou peut survenir plus tard, par exemple à la suite d’un accident, d’une maladie ou à cause d'une prédisposition génétique. Quelle qu’en soit la raison, le processus de perte de l’audition est souvent traumatique et peut engendrer un grand isolement.
Outre cet isolement, les malentendants éprouvent très souvent une baisse de confiance en eux : « Comment réagissent les autres faces à mon handicap ? », « Est-ce qu’il faut attirer l’attention sur mon handicap ou dois-je essayer de le cacher ? », « Est-ce que les autres vont me voir différemment s’ils savent que je suis malentendant ? ». Toutes ces questions sont normales à la suite d’un changement de vie aussi important suite à une baisse d’audition.
Démontrer ses compétences pour dépasser les préjugés
L’une des craintes majeures des malentendants concerne la discrimination. Les potentiels employeurs vont-ils les juger incapables de faire un travail avant même de les rencontrer ? À quel moment sont-ils obligés de parler de leur handicap ? Comment montrer qu’ils peuvent apporter une valeur ajoutée à leur travail malgré le fait qu’ils soient malentendants ?
Ce défi n’est pas forcément plus grand que chez d’autres personnes qui ont aussi un handicap ou sont victimes de certains préjugés. Quand une personne victime de préjugés peut démontrer ses capacités en travaillant, pour la personne malentendante s’ajoute une difficulté supplémentaire, qui est liée à la capacité de communication réduite. Cela peut générer une certaine appréhension à l’idée d’être mal compris. Pour mieux comprendre cette situation, nous pouvons imaginer ou nous remémorer une présentation ou un discours en public dans une langue étrangère et le malaise éprouvé à l’idée de faire une faute. Il est alors essentiel de se rappeler que le public venu écouter est intéressé par le sujet. Il est donc encore plus important, dans ce contexte, de manifester la volonté de communiquer et d’être compris.
Malentendant 24h/24h
Pour quelqu’un de malentendant, des difficultés de communication se présentent dans toutes les interactions quotidiennes, telles que saluer les collègues le matin, discuter autour d’un café, répondre aux personnes qui ne sont pas forcément en face de lui. Malgré le fait que cela complique les échanges informels, il est quand même important de faire l’effort de se rendre accessible aux collègues et aux proches.
Prenez l’exemple de quelqu’un qui a perdu l’audition d’une seule oreille. Il a appris à lire sur les lèvres et va chercher les conditions les plus favorables pour bien communiquer : se placer en face de son interlocuteur pour établir un contact visuel et préférer un environnement sonore aussi calme que possible. Si en revanche il se retrouve au milieu d’un environnement bruyant ou entourée par plusieurs personnes qui parlent en même temps – pensez à un apéro ou un déjeuner à l’extérieur – alors il faudra user d’autres stratagèmes.
C’est pourquoi il est important pour les malentendants de choisir attentivement leur environnement. Cibler son environnement permet ainsi de redéfinir sa manière de vivre. Cela risque d’être gênant pour un malentendant qui, auparavant, était par exemple un grand fan de musique et de concerts. Mais dans ce cas, c’est encore plus important de reconnaître le changement de vie et de l’accepter.
Faire le deuil de son audition permettra de relever ce défi. En effet, comme pour chaque perte, c’est seulement après avoir accepté sa nouvelle condition que le malentendant peut commencer à surmonter l’obstacle. Ce processus varie pour chaque individu, mais demeure néanmoins très important.
De la même façon, dans un environnement familial, il nous est arrivé à tous de hurler d’une pièce à l’autre pour poser une question : « Qui veut quelque chose à boire ?», « Où sont mes clés ? ». Ce genre de comportement est commun, mais pose problème à un malentendant. Il faut donc faire attention à ce que la personne malentendante soit intégrée dans ce genre d’interaction et à attirer son attention, même si elle se trouve à côté de nous, afin qu’elle nous comprenne.
L’atelier PEPs a donné lieu à une situation drôle qui illustre bien les problèmes rencontrés au quotidien par les malentendants. Tous les participants se sont mis à travailler sur un exercice avec la tête baissée. Un des participants a posé une question générale à la classe, puis a attendu en vain une réponse en regardant toujours sa feuille. Marie Aumeunier a dû lui rappeler que personne ne l’avait entendu ! C’est dans ces moments que nous nous rendons compte des difficultés auxquelles sont confrontés les malentendants tous les jours.
A force d’expérience, les malentendants apprennent comment s’adapter à leur nouvelle condition. Pour cela il est indispensable que la personne accepte son changement de vie, car c’est seulement ensuite qu’elle peut passer à la deuxième partie : commencer le processus d’apprentissage qui est nécessaire pour vivre avec un handicap (ou un changement aussi bouleversant et imprévu). Tant qu’un individu n’a pas encore accepté une situation, peu importe laquelle, c’est extrêmement difficile de l’aborder et en plus de sensibiliser les autres à ses besoins spécifiques.
Le besoin de contact
Les deux idées fondamentales de l’atelier PEPs sont de mettre en lien des personnes vivant une situation similaire et de leur donner la possibilité de communiquer autour de leur handicap. En parallèle, cela permet aux participants de se rendre compte de leurs besoins - de ce dont ils ont besoin pour surmonter et dépasser leurs difficultés lorsqu’ils ont souffert d’une diminution auditive ou d’une perte complète. Par extension, dès que les participants ont commencé à être plus conscients de leurs propres besoins, ils peuvent ensuite commencer à sensibiliser les autres à leurs besoins.
Beaucoup de personnes ne sont pas habituées à communiquer avec les malentendants et éprouvent une appréhension vis-à-vis de l’inconnu. Mais des deux côtés, il faut que quelqu’un prenne l’initiative d’ouvrir le dialogue qui va permettre un échange. Ce dialogue doit, la plupart du temps, venir de la part du malentendant, il faut donc qu’il sache précisément de quoi il a besoin, et comment le communiquer à son interlocuteur.
Pour un observateur externe, assister à un atelier comme celui de PEPs permet de redécouvrir l’essentiel de la communication : prêter attention à la personne qui parle, écouter attentivement et ne pas couper la parole. Cela peut sembler évident, mais appliquer ces « règles » à la vie quotidienne ne va pourtant pas de soi. Cependant, si nous arrivons à respecter ce que les personnes malentendantes sont obligées de vivre tous les jours, nous pourrions tous améliorer notre communication.