Trappeur, aventurier, archéologue expérimental et auteur, le Vaudois Kim Pasche passe une bonne partie de l’année à parcourir le wild en Alaska (où il possède d’ailleurs un territoire de plus de… 4’500 km2 !!). Adepte de la pensée sauvage, il nous livre son parcours et nous offre un plaidoyer vibrant pour l’établissement d’un nouveau paradigme permettant à l’Homme de retrouver sa place véritable dans le monde.
Dans cet article en deux parties, nous laissons la parole à Kim Pasche. Ce premier article traite du parcours et de la vision du monde de celui-ci, alors que le second explique plus en détails les projets concrets qu’il met en oeuvre.
Un grand-père en avance sur son temps
En quelques mots, j’ai un parcours relativement normal. J’ai grandi à Moudon, dans la Broye vaudoise, d’une mère suissesse et d’un papa andalou. Enfant, mon quotidien était assez « standard », si ce n’est pour mon grand-père, qui vivait dans une cabane en lisière de forêt dans les bois du Jorat. Ce grand-papa un peu sourd, mais à l’imagination débordante, a su captiver mon attention dès le plus jeune âge.
Son petit sanctuaire dans les hauts de Moudon était un lieu clairement en avance sur son temps. Mon grand-père et sa femme y cultivaient un jardin bio (le terme n’existait même pas à l’époque !), tiraient leur eau d’un puits, et l’électricité dont ils avaient besoin provenait de panneaux solaires.
Ensemble, ils misaient sur l’autonomie et revendiquaient la simplicité comme valeurs à une époque où il aurait été facile de plonger dans l’effervescence du monde moderne et ses exubérances, que personne n’imaginait critiquer à l’époque.
Olivier, ce grand-père extraordinaire, a été un puissant éducateur pour moi. Avec lui, il n’y avait pas de vrai ou de faux, mais des conséquences à nos actes, grâce auxquelles on apprenait à grandir. La “bonne conduite” n’était donc pas une règle froide et rigide, comme j’y étais habitué dans mon quotidien ou à l’école, mais plutôt une posture d’observation sur mes choix, mes envies, mes pulsions.
Il m’a aidé à comprendre ce qui se tramait en amont des décisions que nous prenons chaque jour. A sa façon, il était lui aussi un trappeur !
Le parcours d’un « coureur des bois »
Ainsi, la forêt qui nous entourait était sacrée et mystérieuse, et cette relation au monde nourrissait mon enfance. J’ai toujours eu envie de perpétuer cette sensation, que je n’ai jamais éprouvée dans le monde moderne.
Tout ce temps passé avec mon grand-père a sans doute contribué à renforcer cette volonté qui m’a permis d’entreprendre, par la suite, ce départ dans les contrées sauvages du Yukon. Riche de ce bagage, je me suis lancé dans l’artisanat après le bac. Ça répondait à une exigence importante pour moi : savoir être habile de mes mains, pour ensuite essayer d’être habile de l’esprit.
De fil en aiguille, je me suis retrouvé à travailler l’artisanat préhistorique, puis à suivre une formation d’animateur en préhistoire, avant de suivre des cours à l’université. Mon but, depuis toujours, est de retrouver le lien rompu avec notre héritage sauvage, celui de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs.
Je n’ai à ce jour pas trouvé de meilleure méthode pour y parvenir que de me dépouiller du superflu et de renouer le lien avec le vivant en reproduisant les gestes les plus ancestraux qui permettent de se nourrir, de se vêtir ou de faire du feu, c’est-à-dire : en fabriquant ses outils soi-même.
L’archéologie expérimentale
Stricto sensu, l’archéologie expérimentale est une sous-discipline de l’archéologie qui consiste à recréer les gestes et les objets des temps anciens, pour mieux comprendre leur économie et leurs fonctions au sein d’une culture.
Pour ma part, je pense que l’archéologie peut avoir un effet sur l’imaginaire et nous permettre, un peu par magie, de nous reconnecter avec celles et ceux qui, jadis, étaient les représentants de l’humanité.
Les Européens ont ceci de très particulier qu’ils vivent sur le seul continent sur lequel les populations traditionnelles (qui seraient l’équivalent des premières nations du Canada, par exemple) ont toutes étés éradiquées, il y a déjà plusieurs milliers d’années (à l’exception notoire des Samis qui vivent à l’extrême nord de la Scandinavie, de la Finlande et de la Russie).
Ainsi, nos représentations du monde d’alors et des hommes y vivant n’ont plus grand chose à voir avec ce que devait être la vie quotidienne de ces lointains ancêtres.
Retrouver la posture de nos aïeux sauvages
Retrouver les gestes et les objets de nos aïeux sauvages, c’est pour moi retrouver le début d’une autre compréhension du monde. Se lier à un récit que portent encore aujourd’hui les peuples racines qui vivent ailleurs dans le monde. Un récit qui est commun à tous les peuples traditionnels et qui raconte l’histoire des humains comme faisant partie intégrante du monde qui les entoure, sans hiérarchie ou destinée particulière.
En gros, on pourrait dire que dans ce récit ancestral, l’homme est « part » de la nature et non « à part », comme les mythes modernes le prétendent.
Retrouver cette posture qui replace l’homme au cœur de la communauté du vivant – sa véritable famille ! – m’apporte une paix intérieure sans comparaison possible avec ce que notre modernité peut offrir.
Et puis, l’archéologie, l’étude de la « préhistoire » (mot que je n’aime pas beaucoup, je tiens à le dire, car il relègue les 98% du temps de l’humanité à un temps qui serait “avant” l’histoire, un temps qui est déprécié par rapport notre ère) et l’anthropologie nous éclairent sur le fait que les humains porteurs de ce récit n’ont jamais étés confronté aux problèmes que nous voyons émerger aujourd’hui. Je pense à la pollution, à la disparition de la biodiversité sur terre, à la démographie galopante, aux guerres, etc.
La vie de ces peuples n’est pas à idéaliser, dans le sens que tout n’est pas simple pour eux, mais ces cultures traditionnelles sont toute porteuses d’un “mode d’emploi” pour que les humains puissent vivre en paix avec leur environnement. Ce mode d’emploi, notre récit moderne ne sait absolument pas le produire.
La fin de la solitude
Ma démarche s’est toujours inscrite dans le partage et le collectif. Une des premières leçons que j’ai reçues des peuples racines que j’ai eu la chance de rencontrer au Canada et en Colombie, a été de réaliser qu’un homme, seul, n’existe pas. “Tu es, donc je suis” disent les Kogis du nord de la Colombie.
Ma façon de m’inscrire dans un mouvement collectif a certes varié selon les périodes de ma vie, mais il y a toujours eu l’idée de contribuer au bien-être de ma communauté. Avant d’avoir une famille, je passais souvent mes automnes et hivers plutôt en mode solitaire, à l’exception des moments passés avec d’autres trappeurs.
Au printemps, en revanche, j’ai souvent travaillé dans des communautés amérindiennes sur la transmission des savoirs traditionnels. Au début de l’été, je suis en général en Europe, occupé à transmettre mes connaissances lors d’ateliers ou de stages.
Et puis, depuis 2015, je partage cette vie en famille ! On ne peut donc pas dire que je mène une vie solitaire.
En revanche, il est vrai que j’ai parfois passé plusieurs mois complètement seul, et que ces périodes ont été parfois dures, et mêmes éprouvantes. Mais elles m’ont plus appris sur moi-même que toutes mes autres expériences. Je valorise désormais la respiration qu’il y a entre ces deux énergies: vivre et nourrir le commun, puis se glisser seul dans la nature et nourrir mes propres aspirations sauvages.
Quel est ton message au Monde concernant le rapport de l’homme à la Nature ? A la disparition de la biodiversité ? Au changement climatique ?
Je ne pense pas avoir un message, au sens de “méthode”, ni de conseil permettant d’orienter les consciences.
Mes années au contact de populations indigènes, ainsi que ma vie dans les bois, m’ont surtout appris à déconstruire mes certitudes, à prendre du recul sur moi, mais aussi sur la culture qui m’a façonné. Avec autant de remises en question, je n’ai eu d’autre choix que d’essayer de voir clair, avant de tirer des conclusions et d’agir.
Plus de tri de déchets, plus de notion de bilan-carbone, plus d’adhésion à Greenpeace, et sûrement pas de signature de pétition pour porter plainte contre l’Etat pour inaction contre le dérèglement climatique ! Se mettre en position d’observateur avant d’être acteur.
Je précise cependant que je ne suis pas “climato-sceptique”. Ce qui m’incombe, c’est d’être avisé avant d’être visionnaire, de faire preuve de discernement. Or, les mouvements écologiques actuels ne se préoccupent pas du tout de connaître l’origine de nos actions : tout le monde est focalisé sur les conséquences de nos actes, mais personne ne regarde en arrière afin de comprendre à quel récit, à quelle vision nous appartenons.
Peut-on vraiment les blâmer ? La majeure partie de la population ne connaît qu’un seul mythe fondateur durant sa vie. Il faut être confronté massivement à une autre vision de monde avant de pouvoir réaliser que notre vision moderne n’est qu’UNE vision parmi d’autres, qu’elle n’a rien d’objectif, ni d’absolu.
Un mythe fondateur avec des conséquences
Aujourd’hui, j’en viens au constat que percevoir le monde comme imparfait, vouloir l’améliorer, est en soi un trait caractéristique de notre société. Mais, cette cartographie du monde, qui nous fait voir des “problèmes” à “résoudre”, n’est pas tombée du ciel récemment. Elle a ses racines profondément ancrées dans notre mythe fondateur « moderne », ou mythe néolithique, qui fait son chemin sur Terre depuis au moins 10’000 ans.
Je ne vais pas dérouler ici l’histoire de ce mythe, sujet qui sera d’ailleurs, soit dit en passant, l’objet d’un prochain ouvrage. Mais, nous pouvons faire le constat suivant : notre histoire nous a progressivement débarrassé de toutes les barrières qui nous retenaient de nous prendre pour des dieux.
Pour se penser maîtres du monde, il a fallu beaucoup de choses : à commencer par couper le lien avec nos ancêtres animistes, ou l’établissement d’une hiérarchie entre les êtres vivants. Se percevoir comme l’espèce élue d’un seul dieu (et donc tributaire d’une seule vérité absolue) avant de tuer ce même dieu.
Muni de la science comme outil absolu, des droits universels de l’Homme – pour anecdote, les indiens se demandent toujours pourquoi “l’Homme” est nommé au singulier – et de la morale qui va avec, alors que nous nous voyons comme les seules créatures dotées d’intelligence dans l’Univers, le kit du parfait petit tyran a facilement conquis le monde.
Or, l’écologie d’aujourd’hui n’est que la conséquence exacte de ce processus. Dorénavant, nous allons vouloir contrôler le climat, puisqu’apparemment la Terre ne sait pas s’y prendre.
Il me semble que le modèle est simple à comprendre : Le néolithique nous a permis de contrôler le territoire, quelques plantes, puis les animaux. Nous avons ensuite appris à contrôler la matière par la fission nucléaire, nous avons pris contrôle des continents, des énergies et des hommes. Aujourd’hui, l’écologie et la technologie nous permettent de prendre contrôle du climat, des sociétés, de la génétique, de la planète Mars…
Trouver l’origine des problèmes ou changer de vision du monde
Nos intentions sont exactement les mêmes qu’il y a 10’000 ans : nous savons ce qui est juste, et pensons progresser vers la perfection. Pour résumer, ce que nous nommons “problèmes”, nous devrions les observer comme les conséquence d’un système dont nous sommes le moteur.
Vouloir résoudre les problèmes avec la même vision qui les a créés, c’est ajouter une nouvelle couche de problèmes, qu’il faudra résoudre à nouveau, etc. Pendant ce temps, les autres humanités, celles des peuples racines, tentent de nous faire voir qu’il existe d’autres façons d’être humain que celle-ci : une autre vision, où l’humain se laisse façonner par le vivant et siège fièrement parmi les siens au sein de la grande communauté du vivant que sont les écosystèmes de notre planète, est possible.
Vous pourrez lire la deuxième partie prochainement.
Publications de Kim Pasche :
https://www.gens-des-bois.org/fr/parutions/
- Un livre à paraître chez Arthaud, sans titre pour le moment.
- Le documentaire : « Traces sauvages : Yukon » passera sur Arte l’été prochain.
Le documentaire a été diffusé sur la RTS2 le 01.04.2019 (et ce n’est pas un d’avril), à voir et à revoir !
Merci pour cet article, qui assouvit ma curiosité d’Eaux-Vivienne et pour ce merveilleux documentaire qui lie les humains à la nature, naturellement !
J’ai vu le documentaire au Yukon récemment… Magnifique ! En symbiose totale avec la nature…. Il faut beaucoup de volonté et même de courage pour oser s’immerger de telle manière dans notre belle nature….. mais je dirais qu’il faut avant tout beaucoup d’AMOUR… car
on ne s’improvise pas aventurier…. il faut une grande curiosité, beaucoup d’abnégation, d’humilité…. observer et apprendre….
Bravo Kim Pasche !
Une fan valaisanne : Chantal