
J’ai eu l’occasion de rencontrer Thérèse Obrecht, ancienne présidente de Reporters sans frontières Suisse, historienne, journaliste spécialiste des pays de l’Est et ancienne championne de ski alpin, pour débattre de la liberté de la presse. Thérèse Obrecht a vécu en Russie pendant sept ans, où elle a vécu l’effondrement de l’URSS, l’espoir de la démocratie et la désillusion qui en est suivi.
Au début des années 1990, après la chute de l’URSS, Boris Eltsine avait décrété la liberté de la presse et celle-ci s’est développée de manière extraordinaire, et très qualitative. Thérèse nous explique qu’aujourd’hui, « tout est terminé. Tous les médias indépendants sont soit fermés, interdits ou ont émigré à l'étranger. Il n'y a plus d'information indépendante en Russie même. Les Russes peuvent s'informer via Telegram ou VPN grâce à des journalistes russes qui travaillent à l'étranger, dans des journaux et des télévisions de l’émigration. Ces journalistes font un travail remarquable diffusé également en Russie. Mais c'est une petite goutte dans un océan de propagande.
Thérèse Obrecht nous confie que Reporters sans frontières s’engage beaucoup « pour les journalistes et la liberté de la presse dans le monde, mais l’ONG n’est pas pour autant garante de la qualité des médias ». Ce sont deux choses différentes. En effet, elle ajoute qu’« on peut se battre pour la liberté de la presse et aider les journalistes (payer des avocats dans les procès, etc.) », mais on ne peut pas changer le médias et influer sur leur qualité.
« Je me suis battue avec beaucoup de collègues ici. Ma grande déception est que beaucoup de journalistes n'adhèrent pas à Reporters sans frontières. Ils ne comprennent pas que c'est important d'utiliser notre liberté pour défendre la liberté des autres. Ils ne sont pas solidaires, ni engagés, car ils ne se sentent pas concernés », nous explique Thérèse Obrecht.
Les médias ont besoin d’argent et les abonnements ne suffisent pas. C’est la publicité qui paie les médias. Puis, les médias et surtout la publicité ont migré sur Internet et sur les réseaux sociaux. « Les grandes marques misent donc sur les influenceurs en ligne, plutôt que dans la publicité ». Le financement est un problème même pour les grands journaux internationaux.
L’autre problème vient des sources d’information. « Les gens s'informent n'importe où, ils lisent n'importe quoi sur Internet, alors que les sources ne sont pas vérifiées. Cela est vraiment inquiétant. »
Reporters sans frontières établit chaque année une liste des pays où la liberté de la presse est respectée le plus. Les premiers pays de la liste sont toujours les pays nordiques, puis les Hollandais, les Irlandais… La Suisse se trouve généralement autour du dixième rang.
En Europe, malgré de petits problèmes, la liberté de la presse existe. Ce qui manque, c’est le lectorat. Environ 5% de la population au maximum s’informe via la presse. Le gros problème est la désinformation, que ce soit les fake news, les trolls, etc.
«Le journalisme, c’est plus qu’une profession, c’est une vocation. J'ai toujours trouvé que c'était un privilège extraordinaire de pouvoir aller dans des pays, rencontrer des gens, raconter leur histoire », nous confie Thérèse Obrecht.
Auparavant, les journalistes se formaient en travaillant dans un journal, à la radio ou à la télévision, après avoir terminé des études. C’était un très bon système.
« Il est essentiel d’avoir une bonne formation. La théorie est importante, mais il faut également savoir écrire et raconter des histoires, mais aussi aimer les gens et avoir de l’empathie pour eux. »
Thérèse Obrecht aime beaucoup la presse écrite. C’est un art en soi pour pouvoir se démarquer. « L’audiovisuel vous donne d’autres moyens ». Elle a pu, par exemple, aller travailler en Russie, grâce à un double emploi, par le Nouveau Quotidien et la télévision.
La Suisse est très petite, alors c’est très difficile d’avoir des journaux, des journalistes et une rédaction pour un si petit public. Thérèse Obrecht est pessimiste notamment pour l’avenir de la presse en Suisse romande.
Thèrèse Obrecht a un diplôme d’interprète pour l’anglais, l’allemand et le français, elle a ensuite fait des études de lettres à Genève et a étudié aussi le russe, parce qu’elle trouvait cette langue belle, quoique très difficile. Son conseil est de « travailler beaucoup » pour apprendre une langue.
La compétition de ski lui a donné « une poussée d'énergie pour le reste de sa vie ». En faisant ses études à côté, cela lui « a permis d'aller au-delà d’elle-même, de fournir un grand effort et ça vous reste pour la vie. »
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Photo credit : Zhenishbek Edigeev
Je suis un journaliste kirghize et j'habite à Genève depuis 2009. Je me suis pris d’un grand intérêt pour la Suisse et pour son système politique unique. C’est pour cela que je me trouve actuellement plongé dans l’écriture d’un ouvrage où je rassemble des interviews de différentes personnalités suisses et appartenant à différents domaines de la société. D’autre part, j’ai créé une association du nom de « Alpalatoo » dans le but de faire mieux connaître les liens entre la Suisse et l’Asie Centrale. Pour en savoir plus : https://www.alpalatoo.com/ Je suis l’auteur de deux romans et deux dictionnaires kirghize-français.