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Situation et perspective des médias écrits en Suisse romande 3. L’opinion d'Amèle Debey

Écrit par Patrick Magnenat
Paru le 7 avril 2022

Amèle Deley

Un Impertinent enfanté par une rebelle 

Sans même l’avoir voulu, nous réalisons que nous collons de très près au « trend » jeune et féminin. Le monde des médias est secoué en effet – et c’est généralement salutaire – par la présence de ces femmes brillantes de moins de 40 ans dont l’atout principal est d’« oser ». Après Laura Drompt et avant une autre cheffe de corps de métier des médias dont nous ne spoilerons pas le nom, nous présentons aujourd’hui le parcours et l’opinion d’Amèle Debey, journaliste RP et surtout créatrice et rédencheffe de la plate-forme en ligne.

 

Self-made-woman

A une année près, Amèle serait contemporaine de Laura Drompt, notre invitée de la semaine passée, rédencheffe adjointe à Bon à Savoir. Même génération intrépide : Amèle aussi a commencé très tôt et multiplié les expériences, puisque son profil LinkedIn révèle un premier stage en 2003, soit à l’âge de… 15 ans ! Stage suivi d’une multitude de contrats, en CDD ou en CDI, en France et en Suisse. Elle est probablement l’une des seules fondatrices et rédactrices d’un média à ne pas avoir suivi une école de journalisme (si l’on traduit sa pensée, on pourrait dire « à avoir échappé au formatage »). N’empêche qu’avec tout ce travail derrière elle, son CV s’est quand même enrichi de la précieuse mention RP.

Amèle Deley

 

Mais pourquoi et comment a-t-elle créé sa plate-forme ?

Nous lui demandons naturellement de nous détailler la genèse de L’Impertinent, les raisons de sa naissance, les difficultés pour le créer, sa situation actuelle et ses perspectives… C’est qu’il faut oser ! Se lancer sans filet, ni expérience dans la mise en place d’un site de news, d’opinions, d’articles de fond, farouchement « indie », n’est pas donné à tout le monde.

Amèle Debey répond avec enthousiasme et bienveillance, avec franchise et dans les détails, aux questions susmentionnées, mais aussi à son rapport au papier, à la rentabilité ou non de son média, à ce qui distingue sa plate-forme d’autres médias online, tels BPLT ou L’Anti-Presse. Sautant facilement d’une question à l’autre, quitte à revenir ensuite à la première, elle nous a donné l’idée d’en faire de même avec cet article ! Nous allons donc suivre le fil de sa pensée, tant que faire se peut. Voici donc ce qu’il faut savoir de la naissance de L’Impertinent, de sa raison d’être à son fonctionnement, de son présent à ses perspectives à court et moyen terme.

 

Acte de naissance…

L’Impertinent est né le 13 avril 2020. La vraie raison à l’origine de la création de média en ligne ? Comme nous aurons encore plusieurs fois l’occasion de le constater, notre jeune fondatrice et rédencheffe n’a pas la langue dans sa poche : « Je trouvais que les journalistes ne faisaient plus leur travail correctement au sujet de la crise Covid et qu’il y avait une place à prendre. »

 

…et pertinence de L’Impertinent

Ouvrons une parenthèse pour restituer le contexte de cette époque et la rapidité stupéfiante avec laquelle Amèle a saisi la nature de l’enjeu qui commençait à se dessiner. Avril 2020, c’est un ou deux mois après l’arrivée du Covid en Suisse… pas encore de vaccin ni de pass sanitaire, mais déjà des pages entières dans les journaux des grands groupes relayant fidèlement les positions du « ministre » de la Santé et de l’OFSP. Cela sur un ton catastrophiste (pour « affoler les gens », dit Amèle) qui n’allait que s’amplifier au fil des 20 mois de crise. Les personnes que l’on commençait à peine à appeler « complotistes » s’insurgeaient contre les revirements au sujet du masque et les premières évocations du semi-confinement. Elles annonçaient déjà la probable découverte d’un vaccin et sa non moins probable quasi-obligation.

 

Défaillance du 4e pouvoir

Retour à L’Impertinent. Comme le directeur de Blick l’a lui-même admis récemment, nous n’avons eu pendant 20 mois qu’un seul son de cloche. Que l’on soit pour ou contre la gestion de la pandémie par l’OFSP, il ne s’agit pas d’une interprétation, mais d’un fait constatable. Amèle a senti venir cette défaillance du 4e pouvoir et son alignement sur les positions de Berset dans les mois qui ont suivi.  Souvent sous les insultes, les menaces, ou les quolibets, elle a mené ses propres investigations, donnant à son média une voie, une « signature », une liberté de ton rarement égalées en Suisse romande. Et puis, si les insultes pleuvaient d’un côté, les abonnements et les dons augmentaient de l’autre ! L’audience s’est multipliée au fil des coups d’éclat, comme l’interview en avril 2020, qui a lancé le site – elle fut l’une des toutes premières à lui ouvrir ses colonnes  –,  de Jean-Dominique Michel, l’anthropologue qui avait alors pris la tête de la fronde contre cette gestion.

 

Elle garde ses secrets  

Est-ce facile de créer sa propre plate-forme ? La fondatrice de L’Impertinent garde jalousement chiffres et détails techniques, mais dévoile que c’est « plus facile que ça en a l’air »… avant de rectifier le tir : « … mais j’ai souvent tendance à me sous-estimer ». Elle admet toutefois que « ce n’est pas le format WordPress » ; elle a choisi une plate-forme commerciale qui gère automatiquement les abonnements. C’est moins malléable que WordPress, mais ça lui procure en revanche plus de temps, et donc une plus grande liberté pour ce qui est du contenu.

 

Des collaborations de premier ordre

En parlant de contenu, nous apprenons que L’Impertinent s’est attaché les services de plumes renommées : feu Roland Jaccard, flamboyant polémiste décédé l’an dernier, Mohamed Hamdaoui, Jean-Charles Biyo’o-Ella… et qu’il a ouvert ses colonnes pour des collaborations ponctuelles à des pointures telles que Jacques Pilet, Dr Malone, Jean-Marc Angéloz, Christian Campiche et d’autres encore. Quant aux interviewés, ils ont également fière allure : Noam Chomsky, Claude-Inga Barbey, Daniel Koch, Louis Fouché, Jacques Attali, et la liste n’est de loin pas exhaustive.

 

Pas de support papier

La possible disparition du papier, qui occupe beaucoup d’esprits, ne perturbe pas la jeune femme. Elle n’y croit pas : « Il y aura toujours des gens pour préférer lire leur journal au PMU en buvant leur café. » De fait, elle n’a jamais songé à créer une version sur support papier. Les modèles économiques, le primat ou non du numérique, cela n’est pas sa tasse de thé. Elle déclare simplement qu’en effet, il est plus cher d’imprimer, mais qu’elle ignore si on s’y retrouve ou non au niveau de la pub… Loin des calculs financiers, c’est une rebelle, une impertinente qui n’a peur de rien et ne s’intéresse qu’à ce qui devrait être la mission première des journalistes : informer. « Ni affoler les gens, ni travailler sans perspective, sans recul. »

 

4e pouvoir, bis

Elle revient sur la « démission » des journalistes, évoquant cette fois la situation ukrainienne. Elle y voit le même biais que lors de la crise covidienne : les journalistes abandonnent leur travail d’investigation et se transforment en porte-parole du pouvoir – après l’OFSP, le DFAE ! Elle cite des rédenchefs de journaux connus qui justifiaient lors d’un débat au Club suisse de la presse l’interdiction des médias russes Russia Today et Spoutnik. La liberté d’expression ne se négocie pas ; pour Amèle, que de telles personnes occupent des postes de rédenchefs est simplement « honteux ».

 

La griffe Impertinente

Pour terminer, nous lui rappelons que d’autres plates-formes en ligne existaient déjà à la création de son bébé, même s’il y avait selon ses dires des places à prendre. En quoi se démarque-t-elle par exemple de BPLT ou de L’Anti-Presse, qui ont aussi adopté une ligne sceptique sur le Covid et l’Ukraine ?

Ce qui la démarque de ces plates-formes, détaille-t-elle, ce n’est pas tant la ligne politique – elle insiste d’ailleurs : Je fais du journalisme, pas de la politique ! – que le statut des responsables. « Ce sont des journalistes déjà bien installés, qui sont des pontes dans leur métier ; il y a donc forcément une forme de jeu d’ego, alors que je ne pense pas avoir beaucoup d’ego et, surtout, je me fiche de ce qu’on pense de moi. J’y vais ! »

Non seulement elle y va, mais elle fonce ! Nous pourrions conclure ainsi, mais une dernière question s’impose : quid des perspectives à court et moyen terme ? Fidèle à sa façon de vivre au présent, sans se prendre la tête mais avec une franchise qui force l’admiration, refusant de jouer les expertes en prédictions, elle n’entrera pas en matière : « On verra ! » Cette fois, ce sera sa conclusion, et aussi la nôtre.

 

Du même auteur :

Situation et perspective des médias écrits en Suisse romande 2. L’opinion de Laura Drompt

Situation et perspective des médias écrits : introduction

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One comment on “Situation et perspective des médias écrits en Suisse romande 3. L’opinion d'Amèle Debey”

  1. Plaisir de voir quelqu'un donner la parole à Amèle (qui d'ailleurs tend à la prendre, qu'on la lui donne ou pas !). On peut ne pas toujours être d'accord avec elle ou avec ses choix, mais une chose est claire: dans ce petit monde de media et de journalistes souvent paresseux et encore plus souvent complaisants, Amèle détonne et fait un remarquable boulot. L'Impertinent est le seul media en ligne auquel je suis abonné payant et je ne peux que recommander aux lectrices et lecteurs de cet article de s'y abonner sans tarder !

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