
Fleur de Magnolia polyhypsophylla (En danger critique d’extinction) - Colombie
Après avoir abordé les enjeux de la conservation des arbres, il apparaît essentiel de nuancer nos actions et discours pour préserver la biodiversité. Une question fondamentale émerge : comment en est-on arrivé là ? Car, au-delà des techniques, nos récits et notre rapport à la nature doivent aujourd’hui être redéfinis.
La fondation Franklinia plaide depuis longtemps pour une distinction claire entre :
Lorsqu’un arbre est destiné à l’exploitation, il s'agit plutôt d’une pratique agricole : on plante, souvent en monoculture, on récolte, et le processus recommence. Ce type de gestion fait appel à un nombre restreint d'espèces, souvent courantes, parfois exotiques, et faciles à reproduire.
En revanche, planter une forêt est un travail fondamentalement différent : il s'agit d'imiter la nature. Plus une forêt est diversifiée — composée de nombreuses espèces indigènes — plus elle est résiliente et capable de mieux résister aux changements climatiques et aux maladies.
Cette distinction est cruciale, car sans elle, on crée une confusion qui induit le public en erreur, notamment lorsque des forestiers affirment que la forêt progresse. Le nombre d’arbres augmente peut-être, mais Jean-Christophe Vié appelle à la vigilance, car dans certains pays, l'indicateur de couverture forestière inclut tout, des monocultures aux parcelles traitées aux insecticides. De plus, certaines plantations, comme celles de palmiers à huile, sont parfois même intégrées dans les crédits carbone. Compter cela comme des forêts, c’est de la manipulation de données.
Jean-Christophe Vié ne cache pas son inquiétude face à une tendance de plus en plus répandue. Que ce soit en politique, dans la presse ou dans le monde des affaires, ce qui est souvent recherché, ce sont des messages courts, percutants et valorisants. Dans ce contexte, les actions liées au climat offrent une occasion idéale de soigner son image. Planter des arbres, par exemple, est devenu un symbole fort et rassurant. Mais derrière l’effet d’annonce, on peut légitimement se demander si certains de ces projets ont été pensés sur le long terme. Qui s’occupera de ces arbres ? Vont-ils survivre ? A-t-on pris le temps d’en évaluer l’impact, la pertinence, la durabilité ? « En matière de conservation de la nature, c’est tout le contraire, il n’y a rien de simple, cela dépend du contexte », souligne-il.
Aujourd’hui, il regrette que l’attention soit focalisée pratiquement exclusivement sur le climat et le carbone. Selon lui, cela porte préjudice à d’autres problématiques tout aussi fondamentales. Son engagement se concentre sur la biodiversité : conserver les espèces existantes et favoriser des écosystèmes résilients. Parce qu’au fond, c’est là que se joue l’essentiel. Le stockage de carbone ? Un effet collatéral bienvenu : si on préserve la biodiversité le stockage du carbone se fera d’autant mieux. Vouloir tout réduire à un chiffre de tonnes de CO₂, c’est non seulement simplifier à l’excès, mais parfois, cela produit l’effet inverse : des actions nuisibles pour la vie, menées au nom d’un bien supposé. Il préfère donc rester du côté de la niche « biodiversité », un domaine plus complexe, moins vendeur peut-être, mais infiniment plus riche, plus inclusif, et surtout plus ancré dans le vivant.
Hurricane palm (palmier) de l’Ile Ronde (Maurice) – Photo du dernier individu adulte sauvage. Il est mort depuis la photo mais des plantules ont été produites
Il devient également courant de tenter de s’adapter aux changements climatiques en plantant des espèces plus résistantes à la sécheresse, un phénomène appelé à s’intensifier dans les décennies à venir selon les projections scientifiques. Selon Jean-Christophe Vié, cela revient toutefois à « perpétuer le bazar qu’on a mis depuis des siècles ». Il souligne que de plus en plus d’études scientifiques montrent que certaines populations d’arbres comptent des individus porteurs de gènes susceptibles de permettre à l’espèce de s’adapter. Il est donc d’avis qu’il faut laisser une chance à l’adaptation naturelle.
Cependant, en pratique, les forestiers n’ont pas toujours le luxe d’attendre. Ils justifient entre autres leurs actions en se référant, par exemple, à 2018 et 2019, lorsque des milliers d’hectares de forêts d’épicéas suisses ont été décimés à cause des attaques de scolytes. Or, cette prolifération est largement favorisée par des pratiques comme la monoculture.
Jean-Christophe Vié mentionne un autre exemple tout aussi parlant : dans le Jura, le grand Tétras est en voie de disparition. Des éclaircies (coupes sélectives d’arbres) sont alors réalisées pour favoriser, entre autres, le retour des myrtilles, essentielles à sa survie. Quand les cerfs et les chevreuils reviennent à leur tour et mangent les jeunes pousses d’arbres, les forestiers se plaignent des dégâts. La solution pour les réguler naturellement semble simple : des loups. Mais ils ne sont pas les bienvenus non plus.
Le résultat est que l’on a tellement déséquilibré l’ensemble – forêt, faune, écosystèmes – qu’il faut désormais intervenir presque partout pour restaurer un semblant de biodiversité et tenter de rétablir un équilibre.
Adepte du ski de randonnée, il reconnaît l’impact croissant de ce type d’activités sur la faune. S’y ajoutent les grands événements sportifs, comme par exemple la Transjurassienne, qui laissent de moins en moins de répit aux animaux, alors qu’en plein hiver, ils ont justement la nécessité de préserver leur énergie pour survivre.
Il évoque aussi les platanes et autres arbres d’ornement qui peuplent nos villes, au sujet desquels il est souvent interpellé, mais qui sont souvent privilégiés selon des critères (esthétiques ou pratiques) très éloignés de ceux qui guident les actions de conservation de la biodiversité. À ses yeux, un petit arbre tordu, haut de trois mètres, dont il ne reste qu’une dizaine d’individus, mérite bien plus d’attention.
Tout cela nous amène à questionner nos valeurs, nos critères de beauté — où l’apparence l’emporte souvent sur le reste — alors que ce n’est souvent pas ce qui est le plus bénéfique pour notre santé et celle de la nature. Interrogeons aussi notre tendance à occuper l’espace sans mesure, comme si tout nous appartenait. Nous poursuivons des besoins souvent superficiels, sans considération pour les lois du vivant. Il est urgent d’apprendre à cohabiter avec les autres formes de vie et de nous souvenir que nous ne sommes pas au-dessus de la nature, nous en faisons partie.
Cela suppose, entre autres, de sortir d’une logique purement comptable ou symbolique. La nature ne se résume pas à des indicateurs carbone ou à des campagnes de reboisement. Elle est un tout complexe, vivant et interdépendant, dont nous dépendons. En négligeant ces liens fondamentaux, nous fragilisons notre propre avenir. Planter des arbres en masse, parce que c’est visible ou valorisant, ne suffit pas. L’enjeu prioritaire est de préserver ce qui est encore là : les forêts existantes, les milieux naturels, les espèces menacées. Chaque être vivant joue un rôle dans l’équilibre de la vie sur Terre. Même un moustique.
Crédit photo : Jean-Christophe Vié
Mon parcours professionnel m’a permis de développer des compétences en coordination de projet, gestion administrative et communication. Sensible à l’état de notre planète, je travaille depuis plus de dix ans à sensibiliser le public à une utilisation plus optimale des ressources naturelles. Aventurière et curieuse, je m’intéresse également à la santé d’un point de vue holistique, en explorant des domaines tels que l’alimentation, les plantes, les thérapies alternatives, des pratiques comme le Zhineng Qigong, et bien d’autres choses encore.