
Jean-Paul Périat, consul honoraire du Kazakhstan en Suisse romande, raconte son extraordinaire voyage de quatre décennies à travers les pays russophones. De la finance sauvage des années 90 aux enjeux géopolitiques actuels, portrait d'un homme qui a fait de sa passion une mission diplomatique.
Tout commence par un voyage pour Noël en 1984. Jean-Paul Périat accompagne son père en Union soviétique, dans un pays encore sous le régime communiste et difficile d’accès. Il visite Moscou, Saint-Pétersbourg, et assiste aux représentations du Bolchoï et fu Mariinsky : « Ce fut une révélation, une véritable découverte culturelle », se souvient-il avec émotion.
L'anecdote du magazine Géo confisqué par les douaniers soviétiques – il contenait un dossier sur la Russie - illustre parfaitement l'atmosphère de l'époque. « Vous le récupérerez à Saint-Pétersbourg », lui avaient dit les agents. Et effectivement, ils ont tenu parole. « C'était un vrai choc culturel, bien sûr, mais un choc passionnant », raconte Jean-Paul Périat.
Cette première expérience marque le début d'une fascination durable. Le contraste avec la Suisse est saisissant : un pays fermé mais d'une richesse culturelle extraordinaire. Dans les rues de Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg), impossible de trouver un café ouvert après 21h, mais quelle intensité artistique dans les théâtres !
Avec l'effondrement de l'URSS au début des années 1990, Jean-Paul Périat flaire l'opportunité. Son domaine, la finance, trouve soudain un terrain d'expansion dans les privatisations massives qui secouent l'ex-empire soviétique. « C'était une période passionnante mais aussi très "sauvage", où il fallait parfois se déplacer avec des gardes du corps », confie-t-il.
Le trading des vouchers de privatisation devient son quotidien. Ces petits bons distribués à chaque citoyen soviétique pour acquérir des parts d'entreprises d'État attirent les spéculateurs du monde entier. Jean-Paul Périat plonge dans cette économie de transition, naviguant entre opportunités et dangers.
La crise de 1998 fait fuir beaucoup d'investisseurs occidentaux. Jean-Paul Périat fait le pari inverse : « J'ai eu au contraire la conviction que c'était le moment d'y rester ». En 2002, il ouvre un bureau à Saint-Pétersbourg, accompagnant les entreprises européennes souhaitant s'implanter en Russie et aidant les Russes à s'installer en Suisse.
Loin des clichés sur l'URSS, Jean-Paul Périat découvre un niveau d'éducation qui le fascine. « Lorsque j'ai ouvert mon bureau en Russie, j'ai travaillé avec des collaboratrices d'un niveau exceptionnel », se souvient-il. L'une d'elles, Svetlana, parlait parfaitement français, anglais et polonais, avec une culture impressionnante.
« Dans le métro, tout le monde lisait. La musique, la littérature, la culture faisaient partie du quotidien », observe-t-il avec nostalgie. Cette femme d'une cinquantaine d'années l'initie à la vie culturelle locale : opéra, ballet, théâtre. « Jean-Paul, regarde la gestuelle, tu comprendras », lui disait-elle quand il protestait ne pas parler russe.
Cette découverte le marque profondément. « Quand je voyais les enfants russes de l'époque et les compare aux miens, il y avait une énorme différence dans l'éducation et la formation culturelle », reconnaît-il. Un système éducatif remarquable, même dans un contexte politique contraignant.
En 2009, Jean-Paul Périat rencontre Nikolai Karpenko. Ensemble, ils fondent Hercules Partners, un family office spécialisé dans l'accompagnement de clients russes fortunés en Suisse. Ce partenariat symbolise parfaitement sa philosophie : créer des ponts entre les cultures.
Son engagement dans la Joint Chamber of Commerce Suisse-Russie, qui couvre aussi l'Asie centrale et le Caucase du Sud, élargit ses horizons. C'est par ce biais qu'il attire l'attention de l'ambassadrice du Kazakhstan à Genève. La proposition de devenir consul honoraire tombe à pic : « J'adore l'Asie centrale, sa culture, son potentiel, et j'ai accepté avec grand plaisir ».
Huit ans plus tard, cette fonction consulaire structure sa vie professionnelle. « Cela fait maintenant environ huit ans que je suis consul honoraire du Kazakhstan. Je travaille en lien étroit avec l'ambassadeur et nous développons activement les relations entre nos deux pays », explique-t-il.
Les résultats parlent d'eux-mêmes : la Suisse est aujourd'hui le troisième partenaire commercial du Kazakhstan. Un exploit pour un petit pays alpin face aux géants que sont la Chine et la Russie. « Avec de nombreuses entreprises suisses installées sur place », précise Jean-Paul Périat.
Le Kazakhstan a su créer les conditions de cette réussite. « Ils ont créé un centre financier inspiré du Dubai International Financial Center, qui attire des acteurs majeurs comme Goldman Sachs, mais aussi les Chinois, et qui s'ouvre aux crypto-monnaies et aux fonds d'investissement », détaille-t-il.
Cette transformation impressionne Jean-Paul Périat, habitué aux mutations économiques depuis l'époque soviétique. « Le Kazakhstan est en plein boom, c'est incroyable », s'enthousiasme-t-il. Le président Tokayev mène des réformes démocratiques, lutte contre la corruption, améliore la qualité de vie, l'éducation et la santé.
L'expertise de Jean-Paul Périat lui permet de comparer les évolutions dans la région. « L'Ouzbékistan est aussi très intéressant : avec ses 36 millions d'habitants, il a un énorme potentiel de développement économique », analyse-t-il. En revanche, « Le Kirghizstan, lui, est plus petit et présente moins d'attrait pour les investisseurs, faute de ressources visibles ».
Son expérience du voyage officiel avec le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann renforce sa conviction. Une semaine à travers l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan : « C'était passionnant, et cela m'a confirmé l'importance stratégique de cette région pour la Suisse ».
La guerre en Ukraine modifie la donne géopolitique. « Beaucoup d'entreprises suisses ont délocalisé leur activité de Russie vers le Kazakhstan, comme Stadler Rail, fabricant de trains », observe-t-il. Le Kazakhstan devient une « sorte d'arrière-garde » pour les opérations européennes dans la région.
Quarante ans d'expérience dans les pays russophones ont forgé la philosophie de Jean-Paul Périat. Sa plus grande leçon ? « Il ne faut jamais partir du principe que les autres pensent comme nous ». Une erreur qu'il a souvent commise au début : « Parce qu'ils me ressemblaient physiquement, je croyais qu'ils avaient la même mentalité ».
« La grande leçon que j'en ai tirée, c'est l'importance d'écouter vraiment l'autre », insiste-t-il. « Comprendre qu'il est différent, qu'il a une vision propre, et prendre le temps de découvrir cette vision. Au début, on peut être aux antipodes, mais petit à petit, en s'écoutant et en se comprenant, on peut construire quelque chose ensemble ».
Cette approche humaniste guide aujourd'hui son action consulaire. Entre la Suisse et le Kazakhstan, il ne s'agit pas seulement de commerce ou de diplomatie, mais de « compréhension mutuelle ». « C'est seulement en acceptant nos différences et en apprenant à se comprendre que l'on peut réussir à créer quelque chose de solide et de durable ».
Aujourd'hui, à plus de 60 ans, Jean-Paul Périat garde intacte sa passion pour cette région du monde. « Moi, j'adore les pays russophones, leur culture, leur musique et leur littérature, et c'est pour ça que j'y consacre une grande partie de ma vie », confie-t-il. Une passion qui l'a mené des salles du Bolchoï aux bureaux d'Astana, tissant des liens durables entre l'Europe et l'Asie centrale.
Dans notre prochain article Jean-Paul Périat abordera les défis géopolitiques du XXIe siècle en Asie centrale.
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Crédit photo : Zhenishbek Edigeev
Je suis un journaliste kirghize et j'habite à Genève depuis 2009. Je me suis pris d’un grand intérêt pour la Suisse et pour son système politique unique. C’est pour cela que je me trouve actuellement plongé dans l’écriture d’un ouvrage où je rassemble des interviews de différentes personnalités suisses et appartenant à différents domaines de la société. D’autre part, j’ai créé une association du nom de « Alpalatoo » dans le but de faire mieux connaître les liens entre la Suisse et l’Asie Centrale. Pour en savoir plus : https://www.alpalatoo.com/ Je suis l’auteur de deux romans et deux dictionnaires kirghize-français.