L’objectif de cet article vise à analyser et comprendre l’impact global des réseaux sociaux dans notre consommation et nos relations avec les livres.
Avez-vous entendu parler de BookTok et de Bookstagram ?
Ce sont les noms des communautés de lecture sur Instagram et TikTok qui existent depuis les années 2010 et qui ont grandi en popularité durant le covid. Cependant, il ne s’agit aujourd’hui plus seulement de discuter de ce que les gens ont lu et du partage d’avis de lecture ; il s’agit de promouvoir un mode de vie.
Alerte spoiler ! en tant que lectrice, je consomme ce genre de contenu au quotidien : inutile de dire que j’ai souvent cédé aux chants des sirènes, acheté (et même adoré !) des livres que je n’aurais probablement jamais lus ou dont je n’aurais pas entendu parler autrement. Cela fait-il de moi une victime de la mode littéraire ? Oui, absolument.
Plongeons dans le vif du sujet !
Depuis quelques temps maintenant, de nombreuses publications sur les réseaux sociaux relaient le même slogan : “acheter des livres et les lire sont deux passe-temps complètement différents » et une nouvelle question a émergé de cette phrase d’accroche : les livres sont-ils les nouveaux produits du consumérisme de masse ?
Les réseaux sociaux, et Tiktok en particulier, ont changé la manière dont les gens approchent la lecture et la façon dont ils se représentent en tant que lecteur : aujourd’hui, être lecteur ne signifie plus seulement lire ; c’est aussi adopter un style de vie et une personnalité construite autour de l’amour des livres.
Certains influenceurs l’ont très bien compris et un business florissant a vu le jour. Des contenus tels que des achats ou débarras en masse de livres, des stories à propos des dernières commandes en ligne, la commercialisation d’une multitude de produits livresques possibles et imaginables (et ainsi de suite) deviennent des standards sur bookstagram et booktok. Et cela génère des millions de vues et de « j’aime ».
Des vidéos de gens construisant la bibliothèque de leurs rêves en achetant LE modèle d’étagère d’une célèbre marque suédoise de décoration d’intérieur et les remplissant de centaines de livres achetés sur un non-moins célèbre site d’achat et vente en ligne (alias le magasin de « tout ») est maintenant tendance. Et cela en génère des vues, des « j’aime » et de l’argent !
Acheter des tonnes de nouveaux livres en ligne est indéniablement un pur plaisir, mais la tentation en vaut-elle l’effet de mode, considérant que l’on risque bien de finir par se débarrasser d’au moins la moitié d’entre eux parce qu’on ne les a jamais lus ou parce qu’ils ne correspondent plus à notre esthétique littéraire ?
Les livres sont aussi utilisés par les célébrités pour se donner un air plus intellectuel, un je-ne-sais-quoi de mystérieux, et plus seulement à travers des autobiographies ou des clubs de lecture exclusifs, mais en tant que déclaration de mode. En octobre 2024, Vogue magazine a écrit un article à ce sujet :
“Cela fait sens, après tout : les livres ont un cachet social et intellectuel. Ce que les gens lisent (ou, à tout le moins, semblent lire) représente bien plus qu'une simple photo de paparazzi ».
Devinez quoi ? Les livres font aussi partie des défilés de mode maintenant ! En lisant cet article de Women’s Wear Daily, vous serez étonnés d’apprendre que certains défilés haute couture du Printemps 2025 à Paris (Chanel, Dior or Armani Privé) se sont inspirés d’écrivains célèbre tels que Samuel Beckett (En attendant Godot) ou Robert Harris (Conclave) pour créer des collections exclusives.
Qu’en est-il du partage d’avis de lecture honnêtes sur les réseaux sociaux ? Bien sûr, beaucoup de personnes le font encore, mais cela génère bien moins de clic en comparaison de contenus livresques plus généraux et cela va avec son lot de conflits, d’insultes et de menaces (oui, nous parlons toujours de livres).
Si vous cherchez des recommandations, il y a de grandes chances que vous tombiez sur des publications ou des reels promouvant les mêmes contenus.
Vous êtes à la recherche d’une nouvelle romance à lire ? Découvrez le dernier roman de Colleen Hoover ou Emily Henry ! Vous avez plutôt envie de vous plonger dansdo2nger dansdo2 de la fantasy ? Les séries écrites par Sarah J. Maas avec les tropes les plus populaires sur les réseaux sociaux, comme le triangle amoureux ou la proximité forcée, n’attendent que vous !
Ces autrices sont toutes talentueuses à leur façon, mais il faut bien le dire : elles font parties de celles et ceux dont les algorithmes font le plus la promotion.
Et parce que ces écrivains sont populaires et apparaissent constamment dans nos fils d’actualité, tout le monde ne parle que d’eux sur les réseaux sociaux : la boucle est bouclée.
D’après le site ISBN Database, “UNESCO estime que 2.2 millions de livres sont publiés chaque année”.
Comment les bibliothèques naviguent-elles dans cet océan de publications ? Les tendances des réseaux sociaux sont-elles en train de les couler au profit des sites d’achat en ligne ?
Et bien en fait, non ! Beaucoup de bibliothèques ont su s’adapter à l’expansion des communautés littéraire sur les réseaux sociaux. Il existe même certaines librairies spécialisées dans des genres spécifiques ayant ouverts ces dernières années, telles que Lovestruck Books (2025) and Octavia’s Bookshelf (2023).
Les bibliothèques de la ville de Marion, ont “des espaces communautaires dynamiques qui aident des milliers de personnes à trouver toutes sortes d'informations pour le plaisir et l'apprentissage tout au long de la vie.” Denise, une de leurs employés, est même devenue une mascotte populaire sur leur compte Instagram.
Il y a aussi de bons aspects dans les communautés bookstagram et booktok. Beaucoup d’influenceurs promeuvent les bibliothèques auprès de leurs audiences en leurs rappelant qu’il s’agit de services publics gratuits, accessibles pour tout le monde et qui devrait pouvoir rester telles quelles, et tout particulièrement en ce moment.
Ceci dit, il faut bien se rappeler que les bibliothèques doivent rester à jour et s’adapter à un environnement en changement constant, et que rien ne doit être considéré comme acquis, surtout en matière d’évolution de la technologie.
Il est donc juste d’affirmer que même si bookstagram et booktok ont leurs côtés obscurs, ces communautés littéraires sont une solution efficace (et inévitable) pour les bibliothèques afin d’augmenter leur visibilité auprès de publics ne fréquentant pas les bibliothèques. Nous, bibliothécaires, devons nous adapter et apprendre à nous en servir efficacement.
Articles du même auteur :
Réseaux sociaux et livres : céder aux chants des sirènes
Social media and books: answering the siren call
Prohibited from reading? Chapter three: how can American libraries remain inclusive ?
Interdit de lire ? Chapitre 3 : comment les bibliothèques américaines restent-elles inclusives ?
Prohibited from reading? Chapter 2: Voices of protest in the United States
Interdit de lire ? Chapitre 2 : Les voix de la contestation aux États-Unis
Prohibited from reading? Chapter one: a librarian analysis
Rencontre avec Tamar Songhulashvili : Un engagement pour l'intégration
L’intelligence artificielle au cœur de l’évolution du journalisme : débats et perspectives
Interdit de lire ? Chapitre 1 : décryptage d’une bibliothécaire
Credit photo : Svetlanais via iStock
Dès mon plus jeune âge, les livres m'ont ouvert des fenêtres sur le monde. Chaque page tournée était une nouvelle aventure, chaque histoire m'a aidée à construire mon imagination et mon esprit critique. Cette fascination pour le monde des livres m'a naturellement menée vers ma vocation, devenir agente en information documentaire. Mon but est de continuer à connecter les gens avec les bons livres et les bonnes ressources numériques. Il me tient également à cœur de rester engagée dans la mission primordiale des bibliothèques : promouvoir l'accès à la culture pour tous les publics malgré les nombreux défis qui s'imposent.
