
Face aux voix de la contestation, les bibliothèques américaines doivent s’adapter à la vague de changement. Mais comment peuvent-elles rester inclusives, dès lors que la censure grandit de jour en jour ?
Amanda Jones était une bibliothécaire comme les autres jusqu’au jour où sa vie a basculé, en juillet 2022, après une réunion du conseil d’administration de la bibliothèque publique de Livingston en Louisiane. Son discours contre la censure et pour des bibliothèques inclusives lui a valu de recevoir une pluie de messages haineux sur les réseaux sociaux, parfois même des menaces de mort.
Attaquée par des figures politiques conservatrices, et notamment par Michael Lunsford, Amanda Jones est victime de diffamation. Son crime supposé ? Elle exposerait des enfants à de la pornographie, comme l’affirme le comité Citizens for a New Louisiana sur leur site internet. Après avoir porté plainte pour diffamation, Amanda Jones a vu son cas être rejeté.
Devenue une figure phare dans la lutte contre la censure littéraire, Amanda Jones est aujourd’hui directrice exécutive chez Livingston Parish Library Alliance, un groupe composé de citoyens de sa ville qui se consacrent à l’importance de préserver la liberté de la bibliothèque pour fournir des services à tous les usagers […].
Elle est également membre cofondatrice de Louisiana Citizens Against Censorship, une organisation populaire qui lutte contre la censure dans l’État de Louisiane et son premier livre « That Librarian: Fighting Book Banners in Today’s America », a été publié en août 2024.
Parmi les nombreux organismes professionnels de défense du livre et de la liberté intellectuelle, citons notamment L’American Library Association (ALA), fondée en 1876 et basée à Chicago.
La mission principale de l’ALA est d’assurer au niveau international la direction du développement, la promotion et l'amélioration des services de bibliothèque et d'information ainsi que de la profession de bibliothécaire afin d'améliorer l'apprentissage et de garantir l'accès à l'information pour tous.
Parmi les textes éthiques fondateurs de l’ALA, la "Déclaration des droits des bibliothèques" et la "Déclaration sur la liberté de lecture" établissent clairement les droits des bibliothèques et des lecteurs à avoir un accès sans aucune restriction à la documentation sous toutes ses formes (papier ou numérique).
Le cas d’Amanda Jones n’est malheureusement pas isolé. Comme elle, des dizaines d’autres bibliothécaires aux Etats-Unis subissent de la diffamation, des insultes et des menaces sur les réseaux sociaux.
De nombreuses ressources en ligne permettent aux bibliothécaires et libraires de suivre une ligne de conduite professionnelle et de se protéger face aux demandes de retraits et comportement de certains usagers.
Dans son guide « Comment répondre aux défis et aux préoccupations concernant les ressources de la bibliothèque ? », l’ALA rappelle par ailleurs que les parents ont le droit et la responsabilité de guider la lecture de leurs propres enfants, mais qu’ils n'ont pas le droit de dicter ce à quoi les autres parents peuvent ou ne peuvent pas avoir accès.
De même, l’association Pen America propose également sur son site une liste de ressources à destination des étudiants, auteurs et éducateurs.
Initialement mise en place en 1982, la Banned Books Week est un événement annuel international rassemblant la communauté du livre et visant la mobilisation et la sensibilisation autour de la censure.
« La censure, c'est tellement 1984. Lisez pour vos droits » est le thème choisi pour l’édition 2025, qui aura lieu du 5 au 11 octobre 2025. Depuis 2011, l'Association américaine des bibliothécaires scolaires (AASL) a désigné le mercredi de la Banned Books Week comme Journée de sensibilisation aux sites Web interdits.
« Le thème 2025 de la Banned Books Week rappelle que les efforts de censure se poursuivent encore aujourd'hui. Nous devons toujours nous rassembler pour défendre le droit de lire », explique Cindy Hohl, présidente de l’ALA.
À l’international, s’est déroulé du 30 avril au 03 mai dernier le PEN World Voices Festival. Réunissant plus d’une centaine d’auteurs de trente-cinq pays différents, « ce rassemblement […] nous rappelle avec force - et c'est même un antidote à l'ère de la censure - que les livres sont le moteur de la culture et de l'identité, tout en donnant des moyens d'action et en transformant nos vies ».
Les bibliothèques et librairies américaines mettent régulièrement en place dans leurs rayons des sections dédiées aux livres bannis, pour inciter les usagers et lecteurs à les feuilleter, à en lire quelques extraits et, après tout pourquoi pas, à les emprunter ou les acheter.
Des manifestations et des marches pacifiques sont régulièrement organisées dans tout le pays pour militer en faveurs de la liberté des lecteurs et des bibliothèques.
Il est également possible d’imaginer des actions hors-les murs, des installations temporaires dans des parcs, des places, ou tout autre lieu public ainsi qu’à la collaboration avec d’autres lieux de cultures comme des musées ou des centres culturels pour sensibiliser les publics aux conséquences de la censure littéraire.
L’affaire « Amanda Jones » le démontre bien, le contrôle des bibliothèques et la censure qui en découle sont des sujets faciles à récupérer politiquement pour gagner un bénéfice en jouant sur la panique morale, notamment celle des parents et des citoyens conservateurs.
Face à la montée de la censure littéraire, les bibliothécaires américains se trouvent en première ligne d'un combat pour la liberté intellectuelle. Malgré les pressions, les menaces et la diffamation qu'ils subissent, ils peuvent s'appuyer sur des organisations professionnelles solides, des politiques claires et des initiatives citoyennes pour défendre l'accès libre à l'information. La mobilisation collective, illustrée par des événements comme la Banned Books Week ou les actions de terrain, rappelle que la préservation de nos droits de lecture reste un enjeu démocratique fondamental qui nécessite une vigilance constante.
Nous verrons dans le prochain chapitre des exemples concrets de décisions politiques locales ou étatiques mises en place pour justifier la censure littéraire aux Etats-Unis d’un côté, et la contrer de l’autre.
Dans la même série : "Interdit de lire ? Enjeux et impacts de la censure littéraire aujourd’hui"
Chapitre 1 : décryptage d’une bibliothécaire
Chapitre 2 : Les voix de la contestation aux États-Unis
Crédit photo : Chloé Wahl
Dès mon plus jeune âge, les livres m'ont ouvert des fenêtres sur le monde. Chaque page tournée était une nouvelle aventure, chaque histoire m'a aidée à construire mon imagination et mon esprit critique. Cette fascination pour le monde des livres m'a naturellement menée vers ma vocation, devenir agente en information documentaire. Mon but est de continuer à connecter les gens avec les bons livres et les bonnes ressources numériques. Il me tient également à cœur de rester engagée dans la mission primordiale des bibliothèques : promouvoir l'accès à la culture pour tous les publics malgré les nombreux défis qui s'imposent.