
Les missions principales des bibliothèques sont d’être accessibles à tout le monde et de promouvoir l’accès à la culture. Pourtant, aux Etats-Unis, les bibliothèques scolaires et publiques connaissent depuis quelques années une évolution dans la perception de certains contenus littéraires et cette problématique d’ampleur nationale les empêche de remplir leur rôle d’accueil des publics.
Bien que la liberté d’expression soit un principe fondamental de la démocratie américaine, elle est aujourd’hui confrontée à une contestation croissante dans le domaine de la littérature.
Comment a débuté cette contestation concernant la présence de certains livres dans les bibliothèques ? Comment s’est-elle étendue au sein du pays et qui en sont les voix principales ?
Bien que la censure littéraire soit déjà présente aux Etats-Unis depuis plusieurs siècles, de nouveaux mouvements se font ressentir en 2018 dans la commune de Lafayette (Etat de Louisiane). La tenue d’un atelier de lecture de contes pour enfants par des drag queens au sein de la bibliothèque publique du comté suscite des réactions immédiates chez bon nombre de parents d’élèves inquiets et l’affaire devient rapidement médiatisée, devenant même un sujet de débats publics.
Si cet événement éveille les protestations, l’ampleur du mouvement de censure contre les bibliothèques s’est accrue avec la parution en 2019 du livre « Gender Queer », écrit et illustré par Maia Kobabe et abordant les sujets de la sexualité et du coming-out.
Le racisme, la sexualité, l’esclavagisme, les droits LGBTQIA+, le féminisme ou les violences sexuelles sont autant de thèmes aujourd’hui souvent mentionnés comme étant à l’origine de certaines demandes de retraits ou de limitation des livres dans de nombreuses bibliothèques scolaires et publiques.
Depuis 2021, l’association PEN America a recensé près de 16 000 interdictions de livres dans les écoles publiques du pays.
The American Library Association a de son côté recensé des données concernant les demandes de censure dans les bibliothèques scolaires et publiques : 72% des demandes proviennent de groupes de pression et d’entités gouvernementales (élus, membres de conseils d’administration et administrateur), 16% proviennent de parents et les 12% restants des demandes sont émises par des personnes individuelles (usagers de bibliothèque, enseignants, bibliothécaires ou membre du personnel).
Mais pourquoi ces livres font-ils l’objet de contestation ?
Le mouvement Moms for Liberty, fondé en 2021 en Floride par des mères d’élèves et dont l’engagement en faveur du retrait des étagères scolaires des livres dits problématiques a su trouver un écho national, explique sa démarche : « Moms for Liberty se consacre à la lutte pour la survie de l'Amérique en unifiant, en éduquant et en donnant aux parents les moyens de défendre leurs droits parentaux à tous les niveaux du gouvernement ».
Dans un article d’Amnesty International paru en 2023, Ron DeSantis, gouverneur de Floride (dont nous reparlerons plus loin dans cette série d’articles), insiste sur l’importance du contrôle des livres mis à disposition des élèves. « Nous pensons qu’il est important que l’éducation se concentre sur l’essentiel. C’est pourquoi nous avons interdit la théorie critique de la race à tous les niveaux de l’enseignement. […] Nous n’utilisons pas l’argent de vos impôts pour enseigner à vos enfants à détester notre pays. Nous avons également veillé à ce que les parents puissent vérifier le contenu des cours afin qu’ils sachent ce que leurs enfants apprennent et qu’ils puissent s’y opposer. »
Dans le cadre d’un documentaire réalisé par Ilan Ziv pour ARTE en 2025, Rick Brattin, membre du parti républicain et sénateur de l’Etat du Missouri, affirme lors d’un entretien avec un journaliste : « Je sais que beaucoup de gens se disent que nous interdisons des livres. Non, la question est d’offrir un contenu adapté à l’âge. Les enfants ont accès à des choses qui vont bien au-delà de ce qui leur convient. Les enfants ont droit à leur innocence. C’est notre obligation de la protéger. »
Lorsque le journaliste lui demande quels sont les romans au contenu jugé inapproprié, la réponse de Brattin est évasive : « Oh, il y en a une liste interminable, et je serais ravi de vous la procurer. Enfin, je n’ai pas les titres, là, sous les yeux. […] On a une liste de livres qui nous ont surtout été signalés par des parents scandalisés qu’un tel contenu soit disponible dans les écoles. »
Au-delà de l’objet-livre, c’est donc surtout les messages et les valeurs transmis qui posent question pour la communauté conservatrice des Etats-Unis. La censure des livres en bibliothèque découle, selon eux, d’un besoin de défendre les droits parentaux et l'image de la famille américaine traditionnelle.
Comment les bibliothèques se positionnent face à ceux enjeux et quelles stratégies adoptent-elles pour y répondre et continuer d’assurer leurs missions d’accueil des publics ?
Dans la même série : "Interdit de lire ? Enjeux et impacts de la censure littéraire aujourd’hui"
Chapitre 1 : décryptage d’une bibliothécaire
Crédit photo : Chloé Wahl
Dès mon plus jeune âge, les livres m'ont ouvert des fenêtres sur le monde. Chaque page tournée était une nouvelle aventure, chaque histoire m'a aidée à construire mon imagination et mon esprit critique. Cette fascination pour le monde des livres m'a naturellement menée vers ma vocation, devenir agente en information documentaire. Mon but est de continuer à connecter les gens avec les bons livres et les bonnes ressources numériques. Il me tient également à cœur de rester engagée dans la mission primordiale des bibliothèques : promouvoir l'accès à la culture pour tous les publics malgré les nombreux défis qui s'imposent.