
La semaine dernière, nous avons passé en revue les trois composantes du triangle pédagogique : le maître - la matière - les élèves. Aujourd'hui, nous explorerons comment la relation entre l’enseignant et les élèves est souvent perturbée..., voire complètement parasitée par une communication qu’on pourrait qualifier de dialogue de sourds.
Denise et les élèves partagent le même espace – la salle de classe –, mais ils ne partagent pas la même réalité. Ils ne viennent pas en classe pour les mêmes raisons. Ils n’ont pas les mêmes impératifs.
Même si dans les faits, ce sont les parents qui ont l’obligation d’assurer une instruction à leur progéniture (selon la LIP, dans le canton de Genève), ce sont les enfants qui doivent aller en classe et se soumettre aux règles qui y sont en vigueur.
C’est un aspect de la réalité que Denise et nombre de ses pairs ont tendance à oublier : les élèves ne sont pas en classe de leur plein gré. Quand ils étaient plus jeunes, sans doute n’en avaient-ils pas ou peu conscience. Ils allaient à l’école parce que c’était comme ça. Et puis l’adolescence a pointé le bout de son nez : l’enfant a grandi et ne se contente plus d’obéir. Fille ou garçon, l’enfant devient un individu, il se met à questionner les règles établies par les adultes.
Et Denise se retrouve face à de jeunes individus qui, contrairement à elle, n’ont pas envie de se trouver là, assis sur une chaise.
Et comme Denise ne s’est jamais intéressée à cet aspect du problème, qu’elle estime que les élèves sont là pour apprendre et qu’ils doivent se conformer aux règles, eh bien elle s’étonne, s’impatiente ou s’énerve quand ses élèves se montrent apathiques, rétifs ou rebelles.
De leur côté, les élèves la tiennent pour responsable de leur souffrance, comme si c’est elle qui avait décidé de faire figurer l’allemand au programme scolaire ! Ils ignorent souvent qu’il s’agit d’une volonté politique et que leur prof n’a aucun levier pour changer cet état de fait. Alors au lieu d’en prendre leur parti et d’essayer de traverser cette période parfois difficile, ils préfèrent râler contre l’allemand en répétant à l’envi combien ils détestent cette branche.
Ce que Denise et ses élèves oublient, c’est qu’ils sont des êtres doués de parole et qu’ils pourraient peut-être commencer par mettre les choses au point.
Si la matière enseignée est une belle pomme rouge, le prof est celui qui l’a cueillie. Il y a goûté et comme il en a aimé le goût et la texture, il souhaite la partager avec ses élèves.
De leur côté, les élèves considèrent ce fruit avec circonspection. On leur en a parlé, parfois de manière plutôt négative (« on » : les parents, les frères et sœurs ainés, les amis d’amis, etc.). Et puis, cette pomme a l’air un peu trop grosse à manger, non ?
Le prof sait qu’il va devoir préparer le fruit de manière à ce qu’il soit plus facile à ingérer : la couper en quartiers plus ou moins épais, retirer les pépins et les bouts un peu durs, la peler. Il devra peut-être même la couper en dés pour s’assurer que ses élèves ne s’étoufferont pas avec. Enfin, pour les mettre en appétit, il présentera les petits morceaux artistement disposés sur une belle assiette. Il offrira ce plat préparé avec soin accompagné d’un sourire encourageant.
Et malgré ses efforts, il risquera d’essuyer un refus.
Raison pour laquelle, il est nécessaire de verbaliser l’affreux malentendu décrit plus haut. Il est essentiel que les élèves et leur prof en parlent au tout début de leur collaboration – car c’est bien de cela qu’il s’agit. Pour que la pomme soit mangée, il faut que celui qui offre et ceux qui reçoivent se rencontrent et qu’ils s’accordent.
Plus facile à dire qu’à faire ?
On pourra objecter que les élèves n’ont qu’à suivre, que de toute façon, ils sont trop jeunes et inexpérimentés pour comprendre les enjeux, que leur demander leur avis est une perte de temps.
Les adolescents sont certes des individus en devenir, ce sont toutefois des personnes. Et si on veut en faire des êtres humains capables de réfléchir, des êtres humains responsables et raisonnables, il n’est peut-être pas inutile de les amener à s’interroger sur leur rôle dans le processus éducatif.
Un élève qui s’assied à 8 heures sur une chaise et qui attend la dernière cloche de la journée pour recommencer à exister, cet élève a perdu son temps, son énergie et peut-être même sa joie de vivre. Il subit l’enseignement qu’on lui prodigue. Il est passif. Il n’est pas « acteur de ses apprentissages », comme on peut le lire chez différents chercheurs en pédagogie. Passif, il s’ennuie en classe. Et c’est un fait, un enfant qui s’ennuie est plus enclin à faire des bêtises (entendez des choses que les adultes désapprouvent). A fortiori un adolescent.
Plutôt que de perdre du temps à faire de la discipline en classe à cause d’un ou de plusieurs éléments perturbateurs, pourquoi ne pas ouvrir le débat ? Pourquoi ne pas mener une véritable réflexion sur l’école ?
Dans le prochain article, nous évoquerons la question du choix et de la liberté.
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Crédit photo : Jane Semina via iStock
Titulaire d’un master en Lettres, j’ai enseigné l’allemand et le français dans de nombreux établissements de l’école secondaire genevoise. En tant qu’enseignante, j’ai développé de nombreuses compétences telles que l’aisance à prendre la parole en public, le plaisir de partager le savoir, la capacité à aider les autres à apprendre. Passionnée par toutes les mythologies du monde, je m’intéresse aux récits qui parlent de l’être humain, de ses interrogations et de ses aspirations. J’aime tant les histoires que je suis devenue écrivaine et conteuse. En tant que rédactrice, j’utilise mes compétences rédactionnelles pour partager – encore – des informations, une réflexion ou des rencontres.