Dans cette série d’articles, nous allons nous pencher sur l’épineux problème que représente l’enseignement durant les délicates années du Cycle d’orientation. A l’heure actuelle, de nombreux jeunes sont en décrochage. D’autres vivent l’école comme une prison. Ils subissent ou se révoltent, allant jusqu’à exprimer leur colère de manière particulièrement violente. De leur côté, certains enseignants se retrouvent démunis – d’autres abandonnent. Comment réconcilier les élèves et leurs enseignants tout en respectant le cadre imposé par le système scolaire ?
Enseigner à des adolescents est loin d’être un long fleuve tranquille. L’adulte se retrouve face à un groupe d’individus en devenir et cela suppose des attitudes très variées et variables.
Enseigner à des adolescents, c’est être confronté à un groupe, la classe, qui ne sera pas toujours homogène, que ce soit dans son essence même ou sur la durée.
Tout change, rien n’est éternel – surtout pas à cet âge, même si certains aimeraient pouvoir dire « C’est toujours pareil… » Avec eux, avec vous, avec les jeunes, avec les profs… Chacun campe sur ses positions et oublie que les torts sont partagés.
Oui, les torts sont partagés, mais comme les profs sont a priori des adultes sensés, responsables et raisonnables, c’est à eux que revient le devoir de faire le premier pas.
Prenons une prof et appelons-la Denise. Quand elle entre en classe, elle y entre de son plein gré. En principe, elle a choisi ce métier et, toujours en principe, elle l’exerce avec conviction si ce n’est avec plaisir. Comme Denise enseigne à Genève, elle a la chance d’avoir une classe qui ne compte pas plus de vingt-cinq élèves.
Corsons un peu les choses : Denise enseigne l’allemand au Cycle d’Orientation (équivalent du collège). Encore une fois, elle a choisi d’enseigner cette branche. Et elle sait que ses élèves, eux, n’ont pas choisi de l’apprendre. Ils le lui rappellent régulièrement.
Denise apprécie la langue allemande pour des raisons qui lui sont propres. Elle s’est inscrite à la faculté des Lettres pour étudier cette langue parce qu’elle est au programme scolaire du Canton de Genève. Et on a donc toujours besoin de profs d’allemand.
Denise est aussi passée par le dur apprentissage des remplacements. Grâce à ce baptême du feu, son choix s’est affirmé : elle s’est décidée à passer le MASE. Elle est donc totalement légitime dans ce métier, que ce soit de par ses connaissances ou par ses diplômes.
Denise a de la chance : elle enseigne dans un canton où l’allemand est une branche obligatoire durant le Secondaire I (Cycle d’orientation). De plus, dans le bulletin scolaire, cette branche figure dans le premier groupe, au même titre que le français et les mathématiques. C’est dire son importance dans le cursus des élèves.
Le Plan d’Etudes romand (PER) prévoit les différentes étapes dans l’apprentissage de cette langue, depuis la 5P (école primaire) jusqu’à la maturité, à la fin du Collège (équivalent du lycée). À l’école primaire, il s’agit plus d’une initiation que de véritables cours : à raison d’une heure hebdomadaire, on ne peut pas s’attendre à ce que les enfants engrangent des connaissances en allemand de manière significative. Cette initiation a pour but de sensibiliser les enfants à cette langue d’une manière ludique et positive. Du moins l’espère-t-on.
C’est après que les choses sérieuses commencent.
A la fin du Cycle d’orientation, les élèves devraient atteindre le niveau B1 pour le regroupement 3 (pré-gymnasial) et A2 pour le regroupement 2. Pour le regroupement 1, on mise sur un niveau A1.
Pour que ses élèves atteignent un niveau A2 ou B1, Denise va devoir s’assurer qu’ils suivront le programme concocté en amont. Elle devra les évaluer, leur donner des exercices, des devoirs et veiller à ce qu’ils n’accumulent aucun retard.
Sur le papier, c’est tout à fait envisageable. Après tout, l’élaboration du PER est le fruit d’une collaboration entre divers spécialistes et experts. Tout a été pensé et réfléchi.
Alors comment se fait-il que tant d’élèves rament en allemand, voire qu’ils aient cette branche en détestation ?
Rappelez-vous : Denise entre dans la salle de classe de son plein gré. Certes, il lui arrive parfois de traîner un peu les pieds mais dans l’ensemble, c’est son choix.
Elle a préparé son cours, prévu des activités variées, planifié les prochains tests, anticipé certains aléas – bref, elle est prête à donner son cours et on pourrait même dire qu’elle se réjouit.
Qu’en est-il de son auditoire ?
Nous avons tous et toutes été élèves un jour. Et nous savons que ce n’est pas par choix qu’un élève se rend à l’école dite obligatoire. La démonstration de cette affirmation est d’ailleurs dans l’énoncé. Nous savons que rester 45 minutes assis sur une chaise à écouter un prof nous abreuver de son savoir n’est pas toujours une partie de plaisir, loin s’en faut !
Dans le meilleur des cas, les élèves dissipés le seront en silence et en secret : ils s‘évaderont en pensée par la fenêtre, ou bien ils se calfeutreront dans leur petit monde intérieur. Ils attendront tranquillement que ça passe.
Dans le pire des cas, ils seront bruyants, agités, désagréables, voire carrément hostiles. Ils dérangeront la prof et les quelques élèves qui souhaitent suivre le cours – élèves qui ne se risqueront que rarement à s’insurger contre leurs camarades, pour diverses raisons.
Denise devra donc faire de la discipline, ce qui la ralentira dans le programme, ce qui entraînera une accélération pour rattraper ce retard, avec le risque de semer quelques élèves en route. Sans parler de la possible inimitié qui pourrait s’immiscer dans leurs rapports.
La semaine prochaine, nous nous pencherons sur le cœur du problème, la pomme de discorde : la divergence des points de vue sur l’école.
Articles du même auteur :
Papa Booch : Le kombucha genevois qui fait pétiller l’artisanat local
Parler de soi avec la méthode STAR - 5. Une STAR peut avoir le trac et briller malgré tout !
Genève Débat, l’art de former les esprits à l’échange d’idées
Parler de soi avec la méthode STAR - 4. Les émotions, le cerveau et la STAR
Parler de soi avec la méthode STAR - 3. Raconter une STAR sans l’apprendre par cœur
Parler de soi avec la méthode STAR - 2. Apprendre à être une STAR
Parler de soi avec la méthode STAR - 1. Une STAR pour faire briller ses compétences
Crédit photo : Natalia Smuriakova via iStock
Titulaire d’un master en Lettres, j’ai enseigné l’allemand et le français dans de nombreux établissements de l’école secondaire genevoise. En tant qu’enseignante, j’ai développé de nombreuses compétences telles que l’aisance à prendre la parole en public, le plaisir de partager le savoir, la capacité à aider les autres à apprendre. Passionnée par toutes les mythologies du monde, je m’intéresse aux récits qui parlent de l’être humain, de ses interrogations et de ses aspirations. J’aime tant les histoires que je suis devenue écrivaine et conteuse. En tant que rédactrice, j’utilise mes compétences rédactionnelles pour partager – encore – des informations, une réflexion ou des rencontres.
