
L’adolescence est l’âge de l’affirmation de soi, de la remise en question des systèmes de pensée adultes. On ne peut pas ignorer cet aspect-là : il faut vraiment en tenir compte, sous peine de favoriser des comportements hostiles et violents – c’est l’effet cocotte-minute. Il y a sûrement un juste milieu entre laxisme et tyrannie, mais il est difficile de le trouver et plus difficile encore de maintenir cet équilibre entre la liberté et les limites.
Comment faire ?
Avec l’émergence des réseaux sociaux, les jeunes ont accès à pléthore d’avis sur le monde, sur la politique, la société. Les adultes ont tendance à tout mettre dans le même panier ou la même poubelle, rejetant en bloc ce que les jeunes leur racontent de leurs découvertes. S’ils nous en parlent, ce n’est pas pour rien : ils cherchent probablement à confronter ce qu’ils y trouvent à ce que nous pouvons en penser. La manière dont nous les accueillons peut alors être déterminante… Il en va de même pour l’école. La façon dont nous envisageons l’école n’a rien à voir avec la représentation qu’ils s’en font. En tant qu’adultes, nous avons tendance à l’idéaliser – pas eux ! Quand ils nous disent que l’école, ça ne sert à rien, ils viennent confronter leur point de vue au nôtre. Et que faisons-nous, dans la plupart des cas ?
Nous nous épuisons à leur prouver par A + B que l’école, c’est très utile, que ça permet à l’être humain de devenir autonome. On leur sert la jolie phrase de Victor Hugo, selon laquelle ouvrir une école, c’est fermer une prison. Pour les élèves, c’est ridicule, car l’école est souvent une prison. À court d’arguments, nous finissons par leur asséner que « c’est comme ça et pas autrement », tuant par la même occasion toute possibilité de communication entre eux et nous, les adultes. En agissant de la sorte, un enseignant – voire un parent – passe à côté de l’un des aspects les plus importants de son rôle d’éducateur : former les adultes de demain.
Et si on repensait le triangle maître-élève-matière ? Et si la matière ne devenait qu’un prétexte pour créer une relation entre l’enseignant et ses élèves ?
En définitive, ne vaut-il pas mieux mettre ces êtres humains en devenir au centre de notre attention plutôt que de vouloir leur faire ingurgiter de force un savoir qu’ils n’ont pas choisi ?
Denise et ses élèves se retrouvent en classe autour de l’allemand. Elle doit les amener à entrer en matière malgré leurs réticences et leurs a priori. Elle peut par exemple entamer un dialogue autour de l’allemand à l’école obligatoire. Elle peut inviter les élèves à s’exprimer sur l’allemand tout en récoltant tous les avis, tous les points de vue sur cette branche. Travailler sur les idées reçues et les clichés peut s’avérer intéressant.
Un exemple : « l’allemand, c’est difficile ». D’accord, mais pourquoi ? Quelles sont les principales difficultés que recèle cette langue ? Parmi les réponses possibles, il y a les cas. En allemand, ils sont quatre. Mais l’allemand n’est pas la seule langue à fonctionner avec des cas : le tchèque (7), le russe (6), le grec (4), l’islandais (4), etc. En informant les élèves que d’autres langues utilisent les cas, on les amène à relativiser et de prendre conscience que l’allemand n’est pas un cas… isolé ! Il en va de même pour les genres : l’allemand n’est pas la seule à avoir le genre neutre.
Pour dédramatiser la relation des élèves à l’allemand, on peut également leur proposer de se mettre à la place de quelqu’un qui doit apprendre le français. Quelles sont les principales difficultés que cette personne va rencontrer ? En réfléchissant de cette manière, les élèves arriveront probablement à la conclusion que chaque langue présente des particularités qui peuvent être perçues comme des difficultés pour toute personne qui ne la connaît pas.
En procédant de la sorte, on attire l’attention des élèves sur le fait qu’il est en général difficile d’entreprendre un apprentissage – surtout si celui-ci est imposé. L’enjeu n’est plus d’apprendre l’allemand à tout prix mais de réfléchir à la manière la plus agréable d’appréhender cet apprentissage.
Plutôt que de rabâcher les mêmes arguments – qui de toute manière ne convainquent pas les élèves –, pourquoi ne pas les laisser imaginer les raisons qui pourraient les motiver ? Même une raison triviale peut suffire. En collectant tout ce qui pourrait motiver ses élèves à progresser en allemand, Denise pourra mieux cibler ses propres efforts. Elle pourra imaginer des liens entre ce qui motive ses élèves et ce qu’elle doit enseigner, selon le programme établi.
En déplaçant les enjeux de l’apprentissage, Denise ouvre un champ de possibles à ses élèves. Ils apprennent que l’allemand est une langue à cas et à genre parmi beaucoup d’autres. Ce faisant, elle ouvre de nouvelles perspectives, elle permet des comparaisons entre l’allemand et les autres langues parlées en Europe.
Et comme le disait une enseignante de grec ancien : « Apprendre une nouvelle langue, c’est ouvrir une nouvelle fenêtre sur le monde. » On peut aussi commencer par ouvrir la fenêtre et observer la nouvelle langue comme on observe un oiseau inconnu.
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Crédit photo : Mikhail Seleznev via iStock
Titulaire d’un master en Lettres, j’ai enseigné l’allemand et le français dans de nombreux établissements de l’école secondaire genevoise. En tant qu’enseignante, j’ai développé de nombreuses compétences telles que l’aisance à prendre la parole en public, le plaisir de partager le savoir, la capacité à aider les autres à apprendre. Passionnée par toutes les mythologies du monde, je m’intéresse aux récits qui parlent de l’être humain, de ses interrogations et de ses aspirations. J’aime tant les histoires que je suis devenue écrivaine et conteuse. En tant que rédactrice, j’utilise mes compétences rédactionnelles pour partager – encore – des informations, une réflexion ou des rencontres.